Retour sur les faits

Dans son testament politique, Vers l’altruisme autoritaire, rédigé principalement en janvier 1949, dans le mois qui a suivi sa condamnation à mort,  témoignage on ne peut plus réel, même s’il est pro domo, Jean Mamy revient sur deux choses :

  1. le contexte de sa mobilisation,
  2. sa participation et son rôle dans les faits qui lui sont reprochés et pour lesquels il est jugé et condamné à mort.

Laissons-lui la parole (les intertitres ont été ajoutés par Frédéric-Georges Roux) :

Reprenons l’aventure à ses débuts.

« Quarante millions de pétainistes » (Henri Amouroux)

Le discours du 18 juin 1940 passe complètement inaperçu. À ce moment là, la France toute entière est tournée vers Pétain. Les responsables de la défaite sont honnis. L’agression de Mers-El-Kébir (dont on dira plus tard que le Général fût le conseiller) blessa ­profondément la conscience française. Nous ­n’attendions pas des coups de ce côté là.

Très peu de « dissidents » rejoignent à Londres le Général de Gaulle. La plupart des Français, parqués dans les camps anglais, s’embarquent pour la ­Métropole malgré les invités. En France, seuls, les évincés de la IIIème République tournent les boutons de leur radio pour accrocher Londres. L’Allemagne apparaît victorieuse. Il faut composer avec le Maître de l’Europe.

Jusqu’en 1941, les chiffres des « résistants » restent dérisoires. Le Gouvernement du Maréchal s’impose comme le seul légitime. Aucun doute sur ce point. Il le restera jusqu’au bout. Toutes les nations du monde ne cesseront d’être représentées à Vichy.

Bien plus, le mensonge, indéfiniment répété par la radio gaulliste de l’illégalité de Vichy, encourage les partisans nationaux à se durcir. La « résistance » aurait été grande si elle n’avait été que militaire. Nous étions de cœur avec ceux de Bir-Hakeim. C’est la politique qui a pourri le « nationalisme résistant ». Personne ne peut soutenir honnêtement, même aujourd’hui, qu’il fallait, pour obéir à une poignée de politiciens tarés, et d’aventuriers déserteurs, discourant de Londres, de Brazzaville ou d’Alger, rétablir le régime de la défaite, contre l’État français de la Révolution Nationale ­légitimement en puissance sur la métropole.

Les communistes aux ordres de Moscou

Dès la rupture germano-soviétique, la Résistance change de couleur. Les communistes l’organisent, rassemblent tous les épars. Ce sont eux qui, dès lors, en deviendront les maîtres. Ils sont courageux, actifs, disciplinés. Ils ne reculeront devant rien.

Mais leur but est différent des autres « résistants ». Alors que les gaullistes se contentent de désirer la défaite de l’Allemagne, que les « républicains » ne veulent que reprendre leurs places perdues, comme les Juifs leur succion parasite, les communistes, eux, prétendent à la prise du pouvoir. Leur but n’est pas de repousser l’Allemand au Rhin. Ils n’en ont pas les moyens. Mais prendre la mairie, s’emparer des postes de commande locaux et nationaux, assassiner leurs adversaires politiques, organiser l’épuration, entraîner la bourgeoisie, (toujours consentante à toutes les débâcles) dans un quasi-suicide de la France, tels sont les ordres de Staline. C’est pourquoi, dès sa fondation, le C.N.R. mettra sur pied un plan de la soviétisation préliminaire du pays.

De la Droite à la Gauche, la résistance non-­communiste subira cette emprise sans jamais pouvoir se dégager. Tous les Kerenskys (et les droites ­deviennent Kerensky plus vite que les autres) s’inclinent devant le dynamisme des Soviétiques.

À Alger, dès le premier jour, ils déborderont les malheureux libéraux, exigeront l’exécution de ­Pucheu, la mise à l’écart de Giraud, l’arrestation des américanophiles.

Terrorisme et guerre civile

Sur le territoire, à partir de juin 43, la situation deviendra tragique. Les maquis rouges, entraînant les autres, commettront les pires crimes. Attentats. ­Fusillades. Tortures. Sabotages (et sabotages inutiles).

La désorganisation du réseau ferroviaire, par exemple, sera beaucoup plus rapide par les bombardements américains que par le « suicide » de nos ­locomotives. Attentats non pas tant contre les ­Allemands, que contre les « anti-progressistes », qui, par leur intelligence politique, ou leur situation ­sociale, peuvent faire opposition aux futurs soviets. Les départements montagneux, mieux bourrés de  « réfractaires » sont particulièrement frappés.

La moyenne des crimes atteindra 3.000 par mois aux derniers jours de l’Occupation.

Le monde entier commence à entrevoir la vérité sur les massacres de 43-44. Mais le dossier n’est pas ­constitué. Les charniers français (remplis par les ­Français) sont innombrables.

Dans le seul département de l’Aube, on signale timidement 2.000 morts. De même dans l’Yonne, où 53 maquis ravageaient la ­campagne, les Deux-Savoies, le Dauphiné, le Rhône, la Provence, la Haute-Garonne, la Montagne Noire, le Périgord, les Basses Pyrénées, la Bretagne, la Corrèze, le Limousin, sont la proie du banditisme.

Tout est permis.

Pas de sanctions.

La belle nature humaine s’étale sans contrainte. Exécutions. Tortures. Nerf de bœuf. Bastonnades. Noyades. Femmes brûlées vives à l’essence, après avoir été violées vingt fois. Enterrements à vif. Hommes dévorés par les fourmilières (cinq jours ­d’agonie). Ruptures de membres. Dépeçages. ­Massacres d’enfants. Familles entières assassinées. Le sadisme des criminels fût sans limites. Tout ce qu’on a pu raconter sur les hommes d’une quelconque guerre civile, dans n’importe quel temps de l’histoire, s’est trouvé en quelques mois, sur le sol français, égalé et dépassé.

Au début 1944, mon parti, le PPF, comptait déjà dans ses rangs 600 morts sans qu’un seul ordre de contre-terrorisme fût donné. À la Milice, 850 hommes étaient tombés sans mot dire (les pertes atteindront 2 000 à la Libération). On n’avait pas bougé non plus. Dans tous les coins, les Français rouges assassinaient les blancs. Londres hurlait à la mort. Les Allemands réagissaient pour leur compte. La masse bourgeoise, hier pétainiste, se bouchait pudiquement yeux et oreilles.

De graves Messieurs excusaient d’abominables meurtres. À Vichy, on hésitait. Il n’y avait plus que nous, les militants, qui, bravant les consignes, puis les imposant officiellement, avons commencé à réagir comme il se devait.

Espion aux mains pures

Dans mon dossier, je n’ai pas de meurtres. De ma vie, je n’ai tiré sur quiconque – mais j’ai espionné, ­arrêté, empêché de nuire.

D’autres de mes camarades ont dû tirer. D’autres ont dû interroger des prisonniers, des terroristes, leur faire avouer l’endroit de leur repaire, le nom de leurs complices. D’autres ont prêté main forte aux ­Allemands qui, luttant contre le communisme, sur le front de l’Est, ou sur le front du maquis français, protégeaient l’Occident. D’autres se sont battus sous uniforme. Nous sommes tous solidaires. Nous avons pris les risques. Nos pertes sont les plus lourdes. Nous n’avons malheureusement pas pu porter à l’ennemi – le rouge – le coup qu’il fallait pour l’empêcher de ­commettre son forfait.

Les démocraties aveugles, poignardant le ­fascisme, installant les Russes à Vienne et sur l’Elbe, se sont imaginés pouvoir combattre le communisme autour du tapis vert avec quelques forces de police. Résultat : depuis quatre ans, en deçà et au-delà du rideau de fer, l’Europe est soumise à l’épuration permanente.

Certains puritains d’Amérique s’en étonnent. Ils s’imaginaient que les Staliniens avaient adopté la ­Bible. Nos camarades ont assez payé de leur sang pour que nous puissions dire en leur nom qu’on abattra le monstre qu’avec les moyens de guerre qu’il faut.

À côté des professionnels de la guerre civile, un certain nombre d’amateurs s’étaient groupés dans la « Résistance » sous le signe de l’imagination juvénile. Nous avons fait notre possible pour éviter de porter des coups à ces gamins. Mais les troupes d’en face étaient entremêlées.

Choisir son camp

Si les jeunes bourgeois, sur l’ordre du papa à mèche de Déroulède, veulent emboîter le pas à ­Staline, ils doivent comprendre qu’ils entrent dès lors dans une aventure guerrière qui n’est plus jeu d’école. Il y a eu, un peu partout, dans les procès de « collabos », des témoins à charge, qui, ni communistes, ni ­politiciens responsables, se plaignaient d’avoir été malmenés. Des pleurnicheries ne sont pas de mise dans un combat où chacun doit revendiquer sa ­responsabilité. C’est bien la naïveté des amateurs ­impubères que de protester aujourd’hui contre la ­répression d’hier, en s’arrogeant le monopole de l’intelligence patriotique. Il semblerait que ces petits guerriers ont tout entrevu des destinées françaises dès leur première culotte longue. Jamais la France n’a reçu autant de leçons de morale primaire de la part des imberbes.

Ce sont, au fond, les plus à plaindre. Ces égarés ont écouté des clairons radiophoniques. La jeunesse est prisonnière des grands mirages jusqu’à ce qu’elle se heurte aux réalités. Dans quelques années, ils ­comprendront peut-être le jeu des vieillards rouges. Le désespoir qui les guette les amènera sans aucun doute aux violences autoritaires. Dès lors, nous les retrouverons ardents à brûler leurs idoles.

En août 1944, la bataille faisait rage sur notre sol et, outre la bataille, l’abattage. Cent mille Français, ­désarmés, pacifiques, appartenant peut-être à des ­organisations vichychoises – ou non – suspects d’être des partisans anti-marxistes – ou non – ont été assassinés sur le coin de leur porte. En 1949, on commencera à peine à soulever le voile. À la Chambre, personne n’élève la voix pour demander l’enquête, de peur que les caillots de sang collés aux basques de la majorité de cette canaille parlementaire ne viennent à tiédir. La Résistance est couverte d’un sang français par dessus la tête. De haut en bas, de droite à gauche, il n’est dans cet immense gang de faux héros, que des assassins et leurs complices, car nul n’a le droit ­d’ignorer aujourd’hui les crimes par lesquels, ­mitraillette au poing, contre toute légalité, la bande a pris le pouvoir. Assassins et voleurs (le pillage des deniers de l’État depuis quatre ans dépassant toute imagination). Assassins, voleurs et lâches, car toutes leurs victimes furent sans défense, y compris les vaincus qu’ils piétinent à plaisir, devant qui ils jouent une infâme parodie de justice. Assassins, voleurs, lâches, parjures (pour certains qui avaient promis fidélité au Maréchal), incapables, médiocres, commis de l’étranger, agents soviétiques, sectaires maçons, affamés de prébendes, glorieux d’exploits inexistants, insulteurs enroués, toujours « terros », tous Fouquier-Tinville, tous Marat, tous Robespierre, tous Garnier-Bonnot-Vallet, tous Petiot, tous tueurs d’enfants en bas âge (un Tribunal Militaire – composé de quels officiers ? – vient d’acquitter un F.T.P. qui assassina, après la mère, un bébé de 18 mois). Et pas un résistant ne crie à l’infamie ! Tous approuvent, excusent ou se taisent, tous, la lie d’un pays perdu.

Trier le bon grain de l’ivraie

Nous avons distingué de la « Résistance » tout ce qui fût l’Armée française reconstituée (dont la base était l’Armée Secrète formée à Vichy). Ceux-là purent jouer un rôle à côté des Anglo-Américains le jour où il fallut que la France fut présente sur les champs de bataille.

C’est là où justement, nos « résistants » furent de la suprême abjection.

Cette armée strictement fidèle à ses traditions, recrutée par des généraux non politiciens, a été ­systématiquement évincée, discréditée, jetée dans le combat sans ménagements là où elle devait périr. L’histoire a enregistré les détails de la lutte De Gaulle contre Giraud, de l’opposition C.N.R. à Rigaud-­Lemaigre-Dubreuil, des frictions entre les F.F.I. et ­l’Armée Leclerc.

Ne confondons pas ceux qui, servant la France, ont risqué leur vie sous le signe militaire, avec ceux qui ont profité de la ruée américaine pour accaparer le pouvoir sous le signe politicien.

À ces militaires là, nous étions adjoints par ordre de Vichy. Seules les circonstances fortuites du départ du Maréchal pour l’Allemagne en 1944, nous ­empêchèrent de participer à la Libération du territoire dans les rangs alliés. Nous n’étions pas d’accord pour frapper l’Allemagne à rebours. Mais nous avions reçu l’ordre de nous opposer à toute emprise communiste sur la France. Nous fûmes débordés par les rouges.

Instruction à charge

C’est sur ce fond de tragédie révolutionnaire que se déroule pendant cinq jours à la IIIème Chambre, le même procès de Moscou fait partout depuis 44 à des milliers de mes camarades :

— Vous dites avoir lutté contre le communisme, contre les auteurs d’attentats ? Estimez-vous que faire sauter un viaduc n’était pas un acte militaire utile à la France ?
— Peut-être. Mais faire dérailler un train pour tuer deux Allemands et trois cents Français était un crime abominable qui ne portait tort qu’à la France…
— Quand vous avez découvert ce stock d’armes, qu’avez-vous pensé ?
— J’ai pensé à tous les Français qui tomberaient sous les balles des assassins.

(Je surprends le Président furieux à murmurer ­entre ses dents : « il fallait bien tuer les miliciens ! » sic).

Apologie du crime.

(De plus, en 1942, il n’y avait pas encore de ­Milice).

Un jour d’interrogatoire, je réussis à tout placer : responsabilités de la Maçonnerie, « collaboration » du Parti communiste, etc… jusqu’aux cinq menaces de reconstitution du pacte germano-soviétique de 41 à 44 (dont la dernière date de mars 44. Laval avait préparé secrètement une délégation pour Stockholm où ­devaient avoir lieu les pourparlers. Le petit conseiller D… de V… qui la dirigeait, se confia à nous. Par Ménétrel, les Américains furent prévenus).

Les témoins. Trois jours de cris. Venimeux, ­menteurs, déformant les faits, ajoutant des détails, intervenant contre les dépositions des experts, ­s’attribuant d’extraordinaires exploits. Tous Achille, Patrocle, Agamemnon. Quant à moi, je suis le bourreau de L’Iliade.

Mes crimes ?

En définitive, on me reproche :

1) D’avoir signalé un groupe maçonnique de Lyon, qui, dès 1942, avait déjà distribué 1.200 ­mitraillettes à 300 hommes de main. (Combien de victimes ? Combien de Français assassinés ? Combien de femmes et d’enfants abattus ?).

Les deux témoins furent arrêtés par la Police ­française, condamnés par un tribunal français, sur dénonciations locales prouvées. Il n’empêche que c’est moi qu’on accuse.

Ce vieux franc-maçon communisant, inspecteur scolaire ayant pourri des générations d’écoliers, ­pontife de la laïcité provinciale, ose apporter un infect ragot incontrôlable sur une prétendue arrestation… qu’on lui aurait dite… sans qu’il puisse évidemment apporter la preuve… Mais… peut-être… on ne sait pas…

Laid !… très laid !…

Ces deux Lyonnais sont couverts de sang.

2) Couverts de sang aussi, ces Savoyards (toujours maçons) qui se plaignent d’avoir été visités en juillet 43 et m’ont tendu un guet-apens en montagne, convoquant trois chefs de maquis pour m’abattre (le Président le regrette ouvertement. Deuxième apologie d’assassinat). Je me rappelle fort bien ces voyages à Annecy, Annemasse, Chambéry, Grenoble.

Les journaux étaient bourrés d’attentats contre la population. Les femmes, les jeunes filles, les paysans tombaient partout. Celle-ci avait refusé ses faveurs à tel voyou. Celui-là avait prétendu garder son bétail. Dans ce coin perdu, d’intérêt stratégique mineur, où les locomotives se jetaient au fossé toutes les heures, les « résistants » étaient d’autant plus farouches qu’ils n’avaient contre eux qu’une poignée de PPF et de miliciens. Tous ceux-là furent exécutés avec leurs ­familles. On y ajouta d’anciens partisans de « droite »… des prêtres, l’opposant du village, le notable trop ­envié, le clérical rigide, et aussi le concurrent ­d’affaires.

Grand SFIO, ce vénérable avait pris part, en 43, à des congrès secrets pour la reprise du pouvoir par les bandes marxistes. On juge l’arbre à ses fruits. La France tyrannisée est sa province.

3) Cet autre, Grand Maître de la maçonnerie parisienne, est plus discret. C’est que son cas est ­douteux. Il est « résistant », bien sûr, comme tout le monde, sauf qu’en 41, membre du Conseil de l’Ordre du Grand Orient, il traitait avec Abetz et collaborait plus qu’un autre. Après une déposition prudente, il s’esquive sur la pointe des pieds.

4) Un gros agent du Komintern (plus exactement du Profintern), École des Cadres de Moscou, agitateur des plus importants lors des grèves de 36, un des principaux membres des cadres de réserve du PCF a été proprement escamoté, sur mon intervention en 1942. Les communistes grincent des dents. Nous sommes là sur le terrain du plus rapide au combat. J’affirme hautement ma volonté de poursuivre par les méthodes qu’il faut ce genre de dynamiteur.

5) Un dangereux communiste de Bordeaux, déjà détecté par un agent des services allemands, a été arrêté. Il y a là passage en Espagne, détention d’armes, constitution de groupes armés, etc…

6) Sur indications fournies par un passeur ­clandestin de la frontière espagnole, je remonte à ­Paris, et après de longs mois de patience, réussis à mettre la main sur quelques gros « terros », dont le secrétaire général d’un Groupement de Jeunesses communistes françaises, beau-frère d’un actuel député, vedette de l’Huma.

Nous sommes là en pleine activité de guerre ­civile. Tracts. Armes. Groupes actifs.

Un des hommes du circuit est le chef de trois mille adhérents de la région parisienne (ce qui laisse à penser que ses mains sont particulièrement rouges). C’est lui qui, à la barre, se montrera le plus geignard, entassant les mensonges, se plaignant de coups reçus et négligeant –comme toujours– d’avouer qu’il a ­dénoncé ses camarades.

Le député journaliste viendra placer son « fiel » patriotique. Je me fais injurier par le Président (de plus en plus sectaire) pour lui poser la seule question ­actuelle :

— Si demain, les Soviets attaquent la France, où sera M. Patriote ?

Et le grotesque de se dégonfler : « Je ne répondrai pas à cette question » (sic).

7) Un hurluberlu, que j’avais épargné, commandant d’active, chef d’un maquis important d’un ­département du Centre, vient parader avec forfanterie en racontant mon arrestation comme un exploit ­fameux de la plus grande des guerres.

En fait, ce coq, si dur, qui se devait de pourchasser l’ennemi jusqu’à Berlin, s’est arrêté à Paris, pour ­dévaliser les provisions de ma mère, ma bibliothèque, mes vêtements et mon argent. Voulant délivrer ma famille, je vins me constituer prisonnier dans le garage où il opérait. Pendant huit jours, gardé à vue, j’ai contemplé, accroché dans le bureau de son second – un capitaine de réserve (?) – le même nerf de bœuf qui traîne dans toutes les salles de police internationale.

En confessant un des anges de la troupe, j’appris que le maquis commandé par ces deux pontifes avait fonctionné contre la population comme tous les ­autres, à tel point que beaucoup d’entre eux ­redoutaient l’enquête pour plus tard.

À la barre, comme à l’instruction, les deux ­importants ont débité leur couplet de bravoure.

8) Plus émouvante –et je suis le premier à la ­plaindre– est cette mère de famille dont j’ai arrêté le fils aîné, alors, élève-officier (on en a fait aujourd’hui un capitaine). Il n’était pas communiste. Son frère a failli être pris également. Ces deux impétueux se sont lancés aveuglément dans la tourmente. J’ai connu, après mon arrestation, les services de basse police qui ont abusé de leur innocence (les chefs depuis, ont été expulsés de l’Administration ou rétrogradés). Dans des circonstances plus calmes, j’aurais eu le temps de vérifier les dessous de l’affaire. Mais en juillet 44, au milieu des menaces grandissantes, de la fièvre d’une lutte sans merci, j’ai couru sur le poste émetteur qui m’était signalé. Dès le premier interrogatoire, le jeune homme a donné toutes les indications pour tendre une souricière à la bande. À l’instruction, la mère, dans un sanglot, m’a pardonné.

Moi, je ne pardonne pas, à ceux qui, espions de métier, l’ont mis sous mes coups. (Il aurait été surpris d’apprendre, qu’indirectement, il travaillait pour la même cause que Joanovici !).

9) Un bas politicien vient m’accuser d’une ­opération de police qui ne m’est pas imputable.

10) Puis on fait grand bruit autour d’une affaire où la maladresse des Allemands, jointe au hasard, a ­entraîné, à mon insu, l’arrestation d’un général en retraite, grand laudateur des soviétiques, et de deux exaltés qui voulaient rejoindre la R.A.F. Toute l’affaire était couverte automatiquement par X de X, ainsi que les précédentes.

Je ne suis en rien responsable de l’exécution des ordres d’en haut. Peine perdu de le dire.

Il me serait bien plus impossible encore de ­dévoiler à l’audience le fond de ma pensée. Plus l’homme est important, plus les responsabilités sont grandes. Un officier supérieur prêchant la désertion au Maréchal est un mutin, d’autant plus coupable que son grade est élevé. Le conflit des généraux a ruiné davantage la France que la lutte des partis.

11) Enfin, quatre jeunes gens, dont le chef de Résistance Sud de la région parisienne (attentats, ­sabotages, pillages) sont arrêtés le 17 août 44, sur d’autres indications que les miennes, et retrouvés, malheureusement fusillés quelques jours plus tard. On ne m’impute pas la responsabilité de leur exécution. Loin de là. Ma participation dans l’affaire est minime. Mais depuis quatre ans, la famille –petites personnalités politiques de la capitale– se démène avec une rage insensée.

Dès 1944, on est allé jusqu’à Fresnes, pour ­m’imposer, sans y parvenir, un régime spécial, en cellule surveillée. On a écrit à la Présidence de la République, pour activer l’affaire. On a donné à une rue de banlieue le nom du disparu. Il semble que j’ai touché là le grand homme dont la gloire allait se déverser sur des générations d’arrière-petits cousins. Et pourtant, j’ai recueilli suffisamment les confidences du héros. Il ne demandait pas tout le tapage fait sur son nom. D’autant plus qu’il reconnaissait assez ­piteusement que son comportement politique ­l’obligeait à des violences pénibles sur des ­compatriotes. Là aussi, les mains sont rouges.

Encore une fois l’affaire n’était pas militaire.

Il ne s’agissait pas de pousser l’Allemagne au Rhin. Cet animateur m’avait proposé à moi-même, comme but suprême de Libération Nationale, un poste d’adjoint au maire dans un arrondissement de Paris (il me donna aussi les chiffres exacts des ­« résistants » de la région parisienne en août 44 : 4 500 sur lesquels on ne pouvait véritablement compter que trois cents hommes sûrs. Un mois plus tard… on avait déjà ­distribué 135 000 cartes).

Derrière lui, il entraînait des lycéens !!!

À leur arrestation, ces gosses remplirent spontanément de noms toutes les feuilles blanches qu’on leur tendit. Heureusement, les Allemands quittaient Paris le soir même.

En guise de synthèse

En tout, sur quinze arrestations (légales, ­officielles, motivées), six ne sont pas rentrés ­d’Allemagne.

Je le déplore plus que quiconque.

Fecit qui prodest.

Ce n’est pas à moi que le massacre des Français a profité. Les Londoniens et les Soviétiques ont lancé à plaisir la jeunesse française dans la bataille affreuse, sachant qu’elle était sacrifiée, pour pouvoir discourir sur les estrades, prendre les places, animer la colère et la douleur des familles, réclamer pour eux la direction de « l’épuration ».

Il fallait aux équipes montantes un « bain de sang » français. Beaucoup de victimes gaullistes pour ­justifier les fusillades de « collabos ». Ils savaient que, devant la menace rouge, nous réagirions sans ­faiblesse, allant jusqu’au bout de notre tâche terrible.

À écouter le Président, le Commissaire du Gouvernement, les témoins politiques, j’ai vu à quel point les profiteurs professionnels manipulent sans répit les victimes inévitables pour rehausser leur ­prestige défaillant. Trop de gens font carrière dans la justice d’exception, du juge au chroniqueur judiciaire. Un peuple gogo a été roulé par des malins qui ont tiré du feu tous les avantages, en organisant les ­sarabandes autour des catafalques.

À la Gestapo, les communistes dénonçaient les maquis de « droite ». Dans le combat, ils poussaient en avant tous ceux qui n’étaient pas « du parti ». Sur les 32.000 fusillés déclarés à Nuremberg, 1.500 à peine sont communistes (nous sommes loin des 75.000).

Avec le minimum de pertes, ils ont infligé le maximum de coups à leurs ennemis (pétainistes, ­gaullistes, ­modérés). Et la division des droites, ­symbolisée par l’écœurante lutte du Général contre le Maréchal, a été le principal facteur de leur succès. Depuis 44, ils ont magnifiquement manœuvré pour fusiller les vaincus.

La bourgeoisie n’a rien compris. Elle leur a sacrifié tous ses défenseurs.

Confidence (pour quelques-uns) :

Je suis serein

Pendant cinq jours, sur le banc, à côté de moi, un dossier ouvert.

Première page : une feuille couverte de notes.

Ce sont des phrases bibliques recopiées pour ­maintenir continuellement la pensée au-dessus du procès. Celui-ci se déroulait en bas dans l’irréalité du cauchemar – prétendu drame auquel je ne participais plus. Il me semblait assister à un film. Si j’avais osé dire tout le fiel que je pensais, la salle aurait massacré l’insolent, croyant à une insulte. Et pourtant, jamais je n’ai éprouvé autant de compassion pour des malheureux qui se débattaient dans leur propre tourment.

Pendant le réquisitoire et la plaidoirie, je mis ma tête entre mes mains pour mieux m’isoler et prier –m’évader de la haine– ce que je fais depuis beaucoup d’années. Prier, c’est vivre.

Mon avocat, avec un talent admirable et une ­générosité touchante, tenta de plaider… quoi ?… Deux mondes s’affrontent qui ne peuvent pas se ­comprendre.

La condamnation à mort tomba sans que je ­ressentisse une quelconque émotion. Mon camarade – co-inculpé – s’était effondré : quinze ans de travaux forcés. Je le consolai.

Je n’ai jamais été, de ma vie, aussi calme, aussi délivré, qu’après ce verdict.

Rupture d’avec le monde. Totale. Obligation de se tourner complètement vers l’infini divin qui étanche toute la peine humaine. Je savais que les miens priaient avec la même confiance tranquille. Que ce soit de ce côté-ci de la chair, ou sur l’autre plan, l’homme, le seul réel, reste intact. Il n’y a que le mortel en nous qui s’accroche à ses rêves, à ses remords, à ses vengeances. Pour moi, toute attraction ou répulsion des hommes était finie. Je n’avais plus de contact avec les spectres qui avaient défilé jusqu’à l’heure dernière.

 Et dans mon cachot de la souricière, j’emportais déjà, secrètement, un immense soleil.