Entr’acte est un film réalisé par René Clair destiné à être diffusé à l’entracte de Relâche, ballet dadaïste de Jean Börlin et Francis Picabia [1] au Théâtre des Champs-Élysées. Il est le premier des films « surréalistes » dont les plus significatifs sont :
- Entr’acte de René Clair (1924), initialement dadaïste
- La Coquille et le Clergyman de Germaine Dulac (1928)
- Un chien andalou de Luis Buñuel et Salvador Dali (1929)
- L’Étoile de mer de Man Ray (1929)
- L’Âge d’or de Luis Buñuel, avec l’aide de Salvador Dali (1930)
- Le Sang d’un poète de Jean Cocteau (1930)
Le film est une suite d’images surréalistes : assaut de boxe par des gants blancs sur écran noir, partie d’échecs, jet d’eau manœuvré par Picabia balayant le jeu, jongleur et Père La Colique, chasseur tirant sur un œuf d’autruche (de l’œuf sort une colombe ; elle vient se poser sur la tête du chasseur ; un deuxième tirant sur elle tue le premier chasseur ; il tombe ; l’oiseau s’envole), onze personnes couchées sur le dos présentent le dessous de leurs pieds, danseuse sur une glace transparente, filmée par en dessous, gonflage de ballons et de paravents en caoutchouc sur lesquels seront dessinées des figures accompagnées d’inscriptions…
Mais la moitié du film concerne un enterrement farfelu : un corbillard traîné par un chameau, des personnages (parmi lesquels mon père), dansant et courant derrière le corbillard qui dévale des rues en pente jusqu’à se stabiliser dans un champ pour laisser le macchabée sortir de son cercueil et, tel un magicien, faire disparaître un par un les pleureurs avant de se faire disparaître lui-même. Un film loufoque, s’il en est, mais parfaitement « dada [2] ».
C’est pour Jean Mamy l’occasion de se lier d’amitié avec ses partenaires du film, dont nombre d’entre eux sont ou deviendront célèbres, que ce soient Picabia, Achard mais aussi Marcel Duchamp [3], Pierre Scize [4], Georges Charensol [5], Kiki de Montparnasse [6], et bien d’autres, sans oublier Jacques Hebertot [7].
Notes
[1] Francis-Marie Martinez de Picabia, né en janvier 1879 est un peintre, graphiste et écrivain proche des mouvements Dada et surréaliste. À New-York pendant la Première Gguerre mondiale il prend une part active dans les mouvements d’avant-garde, introduisant l’art moderne sur le continent américain et se rallie au dadaïsme. Polémiste, iconoclaste, sacrilège, Picabia s’agite autour de Dada en électron libre, en étant en principe anti-tout, voire anti-Picabia. En 1921, il rompt avec ses anciens complices. « J’ai inventé le dadaïsme ainsi qu’un homme met le feu autour de lui, au cours d’un incendie qui gagne, afin de ne pas être brûlé », dira-t-il en 1947.
[2] Dadaïsme : Mouvement intellectuel, littéraire et artistique qui se caractérisa par une remise en cause de toutes les conventions et contraintes idéologiques, artistiques et politiques.
[3] Marcel Duchamp, né en 1887 est considéré comme un des premiers à pouvoir transformer en « œuvre d’art » n’importe quel objet en accolant son nom à celui-ci. Les protagonistes de l’art minimal, de l’art conceptuel et de l’art corporel témoignent de l’influence déterminante de l’œuvre de Duchamp. Il aurait également, d’après les nombreux essais qui lui sont consacré, été l’inspirateur de plusieurs courants artistiques dont le Pop art, le néodadaïsme, l’Op art et le cinétisme.
[4] Pierre Scize, né en 1894, se tourne vers le théâtre avant de devenir journaliste de talent publié dans L’Œuvre, Bonsoir, Paris-Journal le journal de Jacques Hébertot dont il fut rédacteur en chef, puis le Canard Enchaîné dont Maurice Maréchal fut le fondateur. En 1933 il en fut spectaculairement congédié pour avoir reçu la Légion d’honneur, décernée à titre militaire pour le bras laissé au champ d’honneur. Or tout rédacteur s’engageait à refuser toute décoration officielle décernée à titre professionnel ou purement honorifique. Bien que ce ne fût pas le cas le Canard ne pouvait commencer à accepter les exceptions.
[5] Georges Charensol, né en 1899, est journaliste, critique d’art, littéraire et de cinéma. Comme Jean Mamy, il fait connaissance du milieu des Lyonnais et notamment de Louis Touchagues, Henri Béraud, Marcel Achard, Henri Jeanson, Pierre Scize. C’est grâce à Pierre Scize qu’il entre en 1923 comme secrétaire de rédaction à Paris-Journal et fréquente Louis Aragon et Jacques Hébertot, directeur du Théâtre des Champs-Élysées. Il cofonde en 1926 le prix Renaudot qui couronne entre autres Louis Aragon, Marcel Aymé et Louis-Ferdinand Céline. Il rencontre René Clair qui devient un grand ami et tourne avec Jean dans Entr’acte.
[6] Kiki, née en octobre 1901, surnommée « la Reine de Montparnasse », fut modèle, muse et amante d’artistes célèbres, mais également chanteuse, danseuse, gérante de cabaret, peintre et actrice de cinéma et anima le quartier de Montparnasse durant l’entre-deux-guerres. En 1921, elle devient la compagne et le modèle préféré de Man Ray qui lui fait rencontrer les dadas Tristan Tzara, Francis Picabia et les surréalistes Louis Aragon, André Breton, Paul Éluard, Max Ernst et Philippe Soupault. Il m’est permis de penser que mon père eut une courte aventure avec elle.
[7] Jacques Hébertot, né en janvier 1886, est directeur de théâtre, poète, journaliste et éditeur. Sous sa direction, le Théâtre des Champs-Élysées va devenir un foyer artistique extraordinaire, réunissant des personnalités exceptionnelles : Georges et Ludmilla Pitoëff, Jouvet, Baty, Cocteau, Claudel, Cendrars, Picabia, Tchekhov, Romains, Pirandello… Dans le domaine de la peinture, la galerie Montaigne accueille la première exposition de Modigliani et les premières manifestations Dada. Parallèlement, il crée les revues Théâtre et Comœdia illustré, Paris-Journal, La Danse, Monsieur, avec la collaboration de Louis Aragon, Georges Charensol ou René Clair.