Lundi 28 mars 1949 (sa dernière lettre à ma mère)
Ma chérie, Jeannette,
Au cas où… je te donne les dernières recommandations :
- Je te répète ici trop brièvement, mais il faut le savoir que tu es ma femme, ma compagne, la seule qui m’ait aidé et compris, et celle avec qui je serais resté toujours. Néanmoins tu ne pleureras pas, parce que je ne le veux pas. Un départ n’est pas triste quand on pense à l’arrivée, à la réunion prochaine. Tu élèveras Frédéric selon les idées les plus hautes. Je voudrais pour toi et pour lui que tu entres en contact avec ceux qui te montreront la voie de la consolation : mes amis de Christian Science. Mais tu es libre. Fais le si tu le sens, si tu le veux. Ne t’y oblige en rien.
Aime cet enfant, conduis-le, dirige-le. Qu’il devienne un homme pur, intègre, fort. Qu’il soit habile dans un métier sûr. Qu’il se discipline intérieurement. Qu’il reflète la loi d’Amour. Refais ta vie s’il le faut. Tu ne dois rien négliger pour trouver le calme, l’aisance, la paix. Je suis toujours avec toi. - Pour ce que je laisse, tu verras Leroy à qui j’ai donné toutes indications. Publiez tout. Je crois que tout est à peu près au point —sauf évidemment mon journal qu’il faudrait réécrire. Avant de le donner à Leroy et Creyssel, tu le reliras soigneusement. Tu le taperas, et tu expurgeras toutes les phrases qui peuvent être blessantes pour quelques gens de Fresnes (je compte sur toi pour expurger avec tact ce qui pourrait atteindre des camarades sur qui j’avais noté des petites bêtises). Par contre laisse les attaques sur ceux du dehors.
Pour les pièces, elles sont toutes jouables. Il faudra les éditer, puis les placer. Ce sera le travail de tous ceux qui s’intéressent à ce que j’ai pu écrire. - Tu t’occuperas de ma mère le plus possible, pour qu’elle puisse aller jusqu’au bout de son expérience dignement et simplement.
Je ne puis te dire plus de tendresses que ce que je t’ai écrit depuis quatre ans. Mais l’Amour ne cesse pas, il devient plus pur et plus puissant. D’où je serai, je t’aimerai encore davantage. Et je ne serai pas loin, tout près, plus près encore peut-être que tu crois, dans ton cœur, tout entier, tranquille.
Il faut que tu vives avec moi toute heureuse. C’est un grand soleil que d’avoir un amour si complet qui remplisse tout. Tu vois que je ne m’en vais pas.
Donc je t’embrasse. Encore une fois. Comme si le train partait. Et nous nous retrouverons à l’arrivée avec un bonheur mille fois multiplié.
Jean
PS : Je te laisse quelques lettres pour des amis. Tu les feras parvenir.