JM à Pierre Leroy (Fresnes 49/02/03)

Mon cher maître,

Aussitôt après votre visite j’ai repensé à plusieurs petites choses dont voici la liste :

  1. Puisque le dossier va cheminer pendant un mois dans les bureaux de la place V [1]. ne croyez-vous pas :
    1. qu’on pourrait y glisser un exemplaire de votre plaidoirie ?
    2. que J.R .[2] ou vous-même pourriez tenter de toucher un des directeurs de service (peut-être même devrait-on essayer d’atteindre le ministre) ?
  2. Veuillez rappeler à J.R. que le témoignage d’un juré est essentiel. Elle doit donc faire son possible pour obtenir une attestation.
  3. Si elle veut voir le commissaire Pouzelgues ou l’inspecteur Feinte (qui ne sont plus dans l’Administration), qu’elle aille rue des Saussaies et qu’elle demande leur adresse à Mr l’inspecteur Fels (il est au courant de mon affaire). Ils doivent témoigner en ma faveur. Dire la vérité. Et sur moi. Et sur Grandmaison.
  4. Il faut rassembler tous les témoignages à décharge du dossier. Ils n’ont pas été lus à l’audience (retrouver témoignage Grappard. Téléphoner à Husson et lui demander s’il peut quelque chose. Mettre en valeur témoignages : PELLETIER (le voir et lui demander appui, 6 rue de Gravelle, Versailles), BERNARD (dit Lambert), PFANNSTIEL, BOISTEL, etc…

De tout ce que vous m’avez dit, je retiens de bonnes choses. Il semble que, le temps aidant, l’affaire peut s’arranger dans le sens souhaité.

Pour moi je continue mes travaux, patiemment. Si je suis gracié, j’aurai des loisirs pour parfaire tout ce qui est en chantier. Il y a des œuvres qui viennent de premier jet et d’autres qu’il faut rôder toujours.

Il me semble depuis quelque temps que je suis à cent mille lieues du procès. Je deviens étranger à toutes ces choses !….. Elles s’évanouissent comme un rêve de maladie. Les pays ont quelque fois des accès de fièvre chaude. Je souhaite que la France officielle retrouve bientôt sa raison.

Les journaux sont de plus en plus vides. Plus la catastrophe financière approche, plus le folliculaire [3] a peur d’écrire un mot de trop, mots d’étoupe, ou mots de phosphore. Quelle crainte chez tous ces puissants !

Il n’y a qu’à Fresnes où l’on soit tranquille sur l’aventure. Les évènements se déroulent avec une rigueur ! Le libéralisme est en train de perdre tous ses atouts. Les générations d’impatients montent… rapides… sans scrupules…

A vous voir bientôt ou à vous lire avec joie. Merci encore pour tout. Croyez à mes sentiments très respectueusement dévoués.

J Mamy

[1] Place Vendôme, Adresse du Ministère de la Justice (note de FGR)
[2] J.R. : Jeanne Roux (note de FGR)
[3] Folliculaire : subst. Masc. Vieilli, péjoratif : journaliste sans talent et sans scrupules (note de FGR)