Au Pilori, 24 janvier 1941 (J.M. de Renan, ex-vénérable du G.O.D.F.
Le courrier nous apporte une impétueuse missive sur papier à en-tête de la mairie de Bordeaux de M. Gabriel Lafaye qui, de son « bureau d’études sur le mouvement social » (???) proteste contre mon erreur d’il y a 15 jours où je l’avais gratifié de l’horrible titre de F:. « Môssieur » Lafaye affirme qu’il ne fait pas partie des quatre (?) obédiences. Il n’est pas un monstre triangulé, un trois points honni, un vilain sectaire. Bon ! Bon ! Je n’ai ni le temps ni le goût de me muer en bureau de renseignements. Admettons qu’il n’est pas été marqué au fer initiatique. J’aime mieux le taquiner sur un point plus délicat.
Car la suite de sa lettre nous fait écarquiller l’attention :
« Je pense que la tâche essentielle consiste à reconstruire la France sous l’égide du Maréchal Pétain. Pour cela il convient que l’œuvre de rénovation nationale soit dirigée par ceux qui, pacifistes de toujours, ont depuis 1938 combattu la propagande belliciste… ».
Ah ! Ah ! Nous y voilà !
Pacifistes de toujours !
Ainsi, pour faire partie de l’équipe dirigeante, il faut avoir été, ou être, pacifistes !
Passifistes ! Passif ! Avoir fait preuve de pacifismo-passivité !
Être un mou, un doux, un enfant de chœur, un bébé rose tout blond, un syndicaliste poupin à la bouche sucrée, aux mots de miel, avec des fleurs dans les mains, les yeux vers le troisième nuage, et chanter des cantiques à la Paix !
La Paix ! La Paix ! Ou qu’on est heureux sur terre ! Ou qu’on peut devenir un peu gras, en taquinant le jardinet, en cultivant le goujon, en saluant le capitaine et le curé, en payant son petit impôt et en aimant bien tout le monde !
La Paix, avec la chaine de montre sur le ventre, et les pantoufles à la papa sur les petons !
La Paix-popote pour personnes pépères ! La Paix-Lafaye ! La Paix-Herriot ! La Paix-Blum ! La Paix-Durand-Dupont ! La Paix flasque des petits poussahs !
Le Paradis syndicalo-terrestre des vieux républicains assoupis et des jeunes générations bien sages où tout le monde travaille en bras de chemise sous l’œil mouillé de Monseigneur l’Archevêque, du Vénérable qui a décoré sa barbe, et d’un « Môssieur Lafaye » de l’endroit qui fera un beau discours dimanche après-midi à la fête du village, si on a bien ciré ses chaussures et ses compliments pour le patron !
Ce cher patron qui distribue tout son « fric » à ses ouvriers.
Comme ça, subitement, pour faire la Paix !
Et ce n’est pas tout : les Juifs ne volent plus le chrétien. Ils rendent l’argent !
La Paix, vous dis-je !
Tout ça sous l’égide du Maréchal Pétain qui est bien content parce qu’il n’a plus d’ennuis.
Comme ça, à Vichy, on aura fait la Paix.
Les royalistes envoient des fleurs à M. Hitler ! Les communistes ne jurent que par M. Mercier et M. de Gaulle félicite M. Flandin par télégramme.
C’est congratulant ! À en pleurer de plaisir. À s’en moucher tant c’est beau ! Humanité ! Humanité ! Ô gloire des Grands Principes ! Quelle merveille que ce petit monde ! Et ce « Môssieur Lafaye », quel ange gardien. De la part d’un ancien député, c’est bien joli d’avoir festonné les choses avec tant de goût !
Dansons la Paix !
Eh bien ici, on ne se sent pas pacifiste du tout, mais pas du tout ! Et on ne se réclame pas toute la sainte journée du Maréchal Pétain.
Non pas qu’il y ait le moindre doute sur l’absolue nécessité d’obéir aux ordres de notre chef de l’État.
Mais parce que le nombre de ceux qui, pour cacher leurs tares, se placent impudemment sous l’égide du Maréchal Pétain augmente démesurément.
Le Maréchal Pétain sert, sans s’en douter, de paravent à la bande la plus infâme de crabes, crabissimes, crabillons et crabus de la nauséabonde République d’hier.
Celle de la Paix ! de la juive, juridique, parlementaire, syndicaliste, maçonnique et trustifiante Paix.
Nous ne sommes plus en Paix, « Môssieur Lafaye », nous sommes en guerre. Nous ne sommes plus des petits saints, passifs, poussifs, nous sommes des Combattants. Des Combattants sans cartouches, mais des Combattants quand même !
Contre les Juifs d’abord ! Contre les responsables de la débâcle ensuite : tout l’ancien personnel parlementaire et journalistique de l’ex-République juive, ce grouillis de cabotins, qui reviennent parader avec leurs anciens titres devant nos yeux écœurés.
On prend les mêmes Lafaye et on recommence.
Et contre les pacifistes surtout ! Parce que le pacifisme conduit à toutes les lâchetés ; les utopies ; les promesses non tenues ; les tapis verts de la S.D.N. ! Les fripouilleries judaïques ! Les apaisements de bénitiers ! Les compromis syndicaux ! Les saletés juridiques ! Les ventres bourgeois ! Les ébahissements de M. Naïf devant le sacré Compte-en-banque ! Les scrutins et les chœurs bébêtes ! Le cousinage de l’Angleterre et les débâcles sur la route avec nos poings contre les tanks !
La Paix humaine, c’est la mort, l’arrêt, le vide, l’inertie, un rêve de matière, la jouissance d’un boyau.
Sus au boyau ! Cette boîte à glous-glous des pacifistes révolutionnaires nationaux.
Et d’abord, ne parlez plus de Révolution nationale sans que les révolutionnaires soient là.
Personne n’est mandaté pour faire une révolution en l’absence de nos prisonniers, de ceux que les pacifistes ont envoyés à la guerre, pour défendre la Paix.
Car on vous la promet à leur retour —tant nous leur hurlerons la vérité— les talons clotés sur la figure et le feu dans les temples pacifistes laïques ou autres, la fessée magistrale d’un peuple en furie le jour où les muscles de ceux qui reviendront des camps se détendront en juste répression.
Ce jour-là nous verrons si « Môssieur Lafaye » et son équipe :. Frot, Montagnon, dirigeront quelque chose, si le parapluie-égide de Vichy sera crevé, et si les anciens chevaliers du tréteau pourront articuler une syllabe menteuse.
Construire dans la Paix-Lafaye ? Jamais ! Il faut déblayer.
J.M. de Renan
Ex-Vénérable du G:.D:.O:.F:.