Au Pilori, 7 février 1941 (signé Paul Riche)
Mon Maréchal,
Je suis un homme du peuple assez mal élevé dans les convenances, mais je vais quand même vous dire tout ce que je pense, entre nous, au déballé, les yeux dans les yeux, parce qu’on en a gros sur l’estomac dans la zone, et qu’il faut qu’on le dégorge à celui qui doit l’entendre.
C’est tout de même une affaire entre vous et nous, mon Maréchal !
Et, puisque vous avez pris la responsabilité du pouvoir, vous saurez tout, vous écouterez tout.
Mon père était à Verdun, sous vos ordres.
Il est mort depuis, des suites.
À Verdun, il avait pas discuté. Comme les autres ! Il y en a eu des cents, des mille, des centaines de mille qui, sur un ordre de vous, mon Maréchal, se sont faits mutiler, massacrer sur place.
Par ce que vous leur aviez dit —vous et les autres— que le pays mourait s’il ne se faisait pas bouziller.
Alors il ont fait.
Comme on le ferait — maintenant— s’il le fallait.
Faut pas croire, parce qu’on a mis les bouts devant les tanks, cet été, qu’on est moins courageux que nos parents. On n’avait pas d’armes. On nous a pas donné d’armes.
Et puis, franchement, mon Maréchal, on s’est mal battus, parce qu’on était dégoûtés !
Nous avons vu tant de choses moches depuis que nous sommes nés : la guerre, l’appel de 1919, le triomphe des youpins, la débâcle des mœurs bourgeoises, la saoulerie de l’après-guerre, le succès est vendu, la pourriture des partis, l’abêtissement du populo, les boniments des démagogues, les dévaluations, les promesses des parlementaires, encore et toujours les Juifs, les Stavisky au pouvoir, les chamailleries des Franc-maçonneries et des Églises, le gâchis de la République, les peuples européens à qui nous doublait, les idées les plus sociales maniées par les pires escrocs, servant de paravent aux pires voyous, au ministre bobardiers, à ce que nous flanquons au pilori tous les jours dans ce « canard », dont nous tentons bien tardivement de faire notre petit blockhaus au service de la Vérité.
On en a trop vu. On n’y croit plus aux boniments.
On sait ce que c’était la France a Lebrun. La France a Herriot. La France à Tardieu. La France à Blum. La France aux bourgeois.
Il n’a pas pu à défendre cette France-là, mon Maréchal, parce qu’elle n’était pas défendable. Parce qu’on est propre et qu’elle était sale.
Voilà.
Maintenant, mon Maréchal vous parlez de reconstruire, de réparer, de repartir à nouveau, avec de grands mots très jolis : sauver ce qui peut être sauvé, détruire ce qui doit être détruit.
D’accord. On veut ça aussi. Nous sommes prêts à nous sacrifier pour ce boulot là — à donner notre peau, s’il le faut— pour que ça réussisse.
Seulement, mon Maréchal, quand on regarde du côté de Vichy, on n’en crève de larmes de vous obéir.
Vous nous faites mal, vous nous piétinez, mon Maréchal !
Comme je vous le dis — les yeux dans les yeux— je vais vous expliquer pourquoi.
Par ce que, malgré vous peut-être (vous devez comprendre ces choses-là, vous avez été jeune ; rappelez-vous comment vous jugiez les ainés, à votre insu sans doute, inconsciemment bien sûr), vous protégez derrière vous tout ce qu’il faut détruire pour que la France vive !
Tout les crabes, tous les vaseux, tous les salauds, tout ce qui est responsable de la débâcle, tout l’Anglais, tout le Juif, tout l’Argent, qui tue le travail.
Parfaitement ! Vous, mon Maréchal !
Par exemple, les Juifs :
il y ait un grand Kahal à Vichy ! Un gouvernement youpin installé à côté de vous. Vous l’ignorez peut-être ! On le sait ici. On avait nom !
Vous, mon Maréchal, vous ne pouvez pas protéger la haute finance internationale, les Judéo-Anglais qui ont déclaré la guerre en Allemagne, et qui nous ont poussé contre les Allemands, ceux avec qui on aurait dû s’entendre, parce qu’on est de la même branche, qu’on a les mêmes intérêts, et que tout ce qui nous sépare, c’est des histoires de famille, des brouilleries d’ancêtres, des chinoiseries.
Autour de vous, il n’y a que du financier véreux, dû au patron au cœur sec, du ministre pourri, du déchet doré et de la boursouflure d’argent.
C’est pas un ministère, c’est ingambe d’hommes de paille.
Et votre Conseil national ! Ce garage à crapauds (excusez-moi, je m’exprime mal, mais il faut dire ce qu’on pense, tout cru).
Vous avez cru bien faire en flanquant pêle-mêle, comme dans un grand saladier, les pantins des anciens partis ; les 180 bonzes à 100 000 francs le conseil bénévole. Pourquoi donc faire ? Pourquoi donc dire ? Il y a du bon du mauvais là-dedans. Le mauvais ne peut que pourrir le bon il y a surtout ce qu’il faut pour nous faire hurler au casse-cou : les 20 ou 30 plus grands menteurs de la foire d’empoigne d’hier : les Frot, les Mistler, les Lamoureux, les Lafaye, les Peissel, les Frossard, les Barthe, les Guillou, les Thiriez, les Constant, les Boussac, les Poncet, des Demaison, — tout ce qu’il y a de franc-maçon taré, d’ancien ministre assassin ou compromis, de députés à gages, de traiteurs de nègres, d’ambassadeurs spéculant.
Rien n’est changé. Tout ça pendant que Flandin liquide l’opération de la Skoda.
Nous, on a compris.
À Verdun, nos pères croyaient défendre quelque chose de propre derrière eux.
Aujourd’hui, les fils ne peuvent pas défendre ça. Ce n’est pas possible, mon Maréchal. Vous ne pouvez pas nous demander ça.
Vous ne pouvez pas nous imposer cette saleté.
Que voulez-vous ! Depuis six mois que nous sommes rentrés ici, nous souffrons beaucoup plus de notre peine de voir le pays être la proie des abominables bandits de Vichy, que du contact très correct de nos vainqueurs.
Les Allemands ? On les côtoie. On leur parle pas parce qu’on sait pas encore la langue. Mais, un de ces jours, on baragouiner leur truc ! Et il commence à jacter le « franzouse » ! Alors ça c’est pas un pli ! On est mûr pour s’entendre un jour.
Tant pis pour Vichy ! Tant pis pour le Kahal !
Voilà six mois qu’on se demande chaque matin que le Dieu des chômeurs fait à notre intention, en voyant les paniers de déchets, en écoutant les bobards radiophoniques, en contemplant les ravaudages ministériels, les parlementasseux qui se « bourrent » de pognon, les fonctionnaires qu’on repique sur tous les ministères, les colonels on case dans tous les placards, toute la comédie de là-bas : comprendront-ils ? S’en iront-ils ? Notre Maréchal voit-il tout ça ? Donnera-t-il le coup de balai ?
Vichy a prétendu refaire la France. En fait, elle n’est que repeinte, rebadigeonée. Votre entourage vous a trompé. Et rebadigeonée anglais, juif, et vieux républicain royaliste.
Le faubourg Sainte-Galette du Palais-Barbon !
Nos paires, à Verdun ne vous sont pas lâché., Aujourd’hui, vous nous avez abandonnés. Vos gens de Vichy se sont occupés de leurs sous. Nous, la zone occupée, on s’est foutu de nos trognes ; on s’dit:« Ah ! Ah ! Ces gaillards, ils sont allés se rendre aux Allemands ! Qu’ils le payent ! »
Ah ! Les pauvres pourris ! Dans leur France libre, ils sont enfermés dans la cage à Juifs. C’est une bouilloire à bavoteux, leur zone papotarde.
Maintenant, mon Maréchal, il faudrait vous décider à savoir ce que vous voulez faire de nous ! Des esclaves à Juifs ou bien des Français ?
La Révolution nationale, ça ne se fait pas avec des poux dans la tête et des cornes au front.
… Pas avec Flandin (les petits gâteaux de Dommecy-sur-Cure en attendant le Chancelier !) La clique à Mercier, la bande à Prouvost, Rueff, Baudouin, Bouthillier, Dumoulin de la Barthète et autres charrettes de judéo-jésuites.
Pas avec les cognes à Méténier pour protéger les galonnards inutiles et la mafia des marquis-colonels-comtes.
La France, c’est du sang pur, c’est pas du jus de navet capitaliste.
Je vous le dis, les yeux dans les yeux, mon Maréchal.
Aujourd’hui, le populo énervé veut remonter la pente, tout seul.
On va peut-être descendre dans la rue pour ameuter le peuple et crier. Il y a quelques mois, on aurait crié : « vive le maréchal ! ». Aujourd’hui, on ajoutera : « à bas Vichy ! ».
À force d’attendre, on est devenus trop pauvres ! Enragés comme des moutons dont la patience est morte ! Désespérés de la boue des vieux partis ! Privé le chef ! Le cœur plein d’un sang fou ! Car on a le droit de vivre, nom de Dieu, mon Maréchal, sans être roulés par la bande de youtres de Vichy.
Et tant pis si ça claque ! La France ne peut plus attendre. Si, pour faire tourner les moulins, il faut espérer la bonne volonté des patrons, c’est trop long !
En route, le travail ! Adieu, l’argent youpin ! Gardez-la votre monnaie ! On a nos muscles.
S’il n’y a pas de chef qui aime le peuple là-bas, trouvez en ici qui feront ronfler les machines sans l’avis de Monsieur Rueff et sans la permission de Trusts-Tout.
Venez avec nous, mon Maréchal, et plaquez votre clique.
Je vous dis tout ça comme le troufion qui ose dire à son capitaine que la soupe est mauvaise, mon Maréchal !
On nous a trop trompé ! Trop menti ! Trop en fait poireauter ! Alors, les yeux dans les yeux, mon Maréchal, vive la France ! Mort aux pourris !
Et à Dieu Va !
Paul Riche