Pneu à Vauquelin

Au Pilori, 28 février 1941 (signé « Jules », puis, Paul Riche pour copie conforme)

Mon petit pote,

J’étais hier aux Ambassadeurs — au poulailler— pour deux thunes.

Je les ai pas regrettés, mes ronds. Tu m’as plu. Voui. Sans lèche.

D’abord, a dit ce qu’il fallait à propos des Français qui sont dans les camps, ou qui sont … on ne sait plus où. C’est du sale souvenir, et du pince-au-cœur. On y pense à nos gars, où c’est-il qu’ils dorment ? La terre a tout reçu, les morts et les vivants. Elle nous en rendra moins qu’elle en a reçu. Tu m’as fait pleurer, bougre !

Après, qu’est-ce que t’as passé au pourri de Vichy ! Aux gars du parlement qui nous ont foutus dans le pétrin d’aujourd’hui et qui ont le culot de venir parader dans le dos du Maréchal en touchant le fric de la princesse. Fusillés ! Qu’ils devraient être les députés, les sénateurs, les baveux ! Fusillés ! Mon Vauquelin ! Pour faire la France propre, il faut balayer ces ordures.

Ah ! Comment qu’on vivait pendant la tirade sur l’année dernière ! J’ai tout revu, les bobards, le départ, la ligne Maginot, les pieds gelés quand il a fait «frigidi », l’attaque, la débâcle, la route, et les salopards qui se sont cavalés sur le « Massilia » pendant qu’on la crevait sous les tanks ! Ah ! Mandel ! On se retrouvera ! Juif de mon cœur !

Tu me fais repasser tout ça dans la tête.

Et même des choses qui datent de plus loin. Tu m’as remonté en 36, au moment des grèves, au Front popu. Tu te rappelles ? Quelle bagarre ! Des patrons qui voulaient rien comprendre ! Des ouvriers étaient pourris par Blum, et qui n’avait que la flemme dans le crâne ! Pauvres de nous ! Les juifs nous avaient tué, avec le fisc, avec la démago, avec leurs ongles.

T’as raison de dire qu’il faut que l’ouvrier défende quelque chose qui soit à lui : son travail. On a toujours tout donné gratis, nous autres. C’est bien le moins qu’on ait son morceau d’usine, son droit à la vie, sa sécurité, son petit « business » bien à soi.

Mais là où tu m’as estourbi, c’est quand tu as parlé de la collaboration. Moi, je me méfie des gens qui collaborent trop vite. Toi, au moins, tu t’es pas précipité au cou des Allemands. Tu dis : « je collabore pas parce que ça me plaît, mais parce que c’est l’intérêt français ». Je t’ai pigé, mon pote. T’est froid, correct, sur la réserve, tu te donnes pas, tu te vends pas, tu traites d’égal à égal, tu joues pas au paillasson, tu gardes ton droit de discuter, de marcher avec eux si c’est le jeu français, et si ça n’est pas : Cambronne !

Bravo, fils ! On en était soufflé. Ça impressionne, un monsieur qui en a, et qui dit sa vérité en face, on s’en foutant des conséquences !

C’est comme ça qu’il faut qu’on soit : froid et méticuleux. Je collabore. Si je veux. Je sais pourquoi. J’accepte ça. Je refuse ça, et je me foutrai pas à plat ventre, mais je veux mon honneur et ma liberté de discuter tout entière. Pour quel ancien parlementaire me prenez-vous ? Les pourris collaborent pour le fric. Moi, je collabore pour la France.

Après ça, t’as encore dit tout ce qu’il fallait sur tout.

Mais le principal était dit. Ah ! Oui ! Qu’on est ensemble, mon grand, pour la mater, la gueuse de débâcle morale, la fuite des idées et du courage français dans le tout-à-l’égout de de Gaulle ! À ta disposition, fils, pour bosseler le Juif, botter et le maçon, démolir la bourse et remonter la pente à genoux en serrant les dents. T’as dit : « Faut pas chercher un chef, faut être soi-même, chacun, un chef ! Il faut que nos enfants nous voient reprendre du poil et refaire le pays ».

On sera pas des « petits vaincus » mon pote, on sera de « grands vaincus », si on peut. Comme ça, nos gosses auront un jour la France-Joie, comme t’as dit.

Je t’embrasse.

Jules

Pour copie conforme : Paul Riche

P.S. – Y avait un gars dans la salle était pas convaincu au début. Je le connais. Il écoute de Gaulle. Et bien ! À la fin, il a marché. Tu vois, c’est français ce que tu fais. Ça revient petit à petit, la jugeote.