Au Pilori, 3 juillet 1941, signé P.R. (initiales de Paul Riche)
Il y a des Parisiens qui déraillent.
Il y a des Français qui marchent sur la tête.
Il y a des chochottes, des donzelles qui n’ont que du vent dans le cervelet.
Il y a des snobs qui dansent sur le corps de la patrie blessée.
Il y a des pourris qui nous font regretter que les stukas les aient épargnés.
Voici l’affaire :
Un certain Pierre Bès, en réalité Pierre de Berc, invita l’autre après-midi, 20 juin 1941, anniversaire douloureusement fameux, le Tout-Paris à boire le jus de citron et le cocktail chez Ledoyen aux Champs-Élysées, pour admirer une cinquantaine de mauvais tableaux de son cru.
Ce Pierre Bès est un peintre mondain, vide et vain ; sans talent aucun, et à coup sûr sans tact.
Il portraitura cet hiver toute la « haute » : les « dussèches » et les « pimbèches », les poivrées et les minaudes, les pouliches et les guincheuses, la grande bande des mufflettes aux noms en accordéon et en dévissoirs, les femmes des « banknotiers », les « parlouzardes », le Tout-Rupin, la vieille France faisandée.
Parmi cette volière, combien de Juives avouées, sans compter celles qui se dissimulent sous le blason d’un vieux beau ou d’un petit crevé : les Cohen de Chosechouette, les Lévy d’Escarbagnas, les Youtreberg-de-l’Étang.
Toutes ces perruches avaient, ce printemps, incité leur modiste en folie à leur pondre, pour le coin de la tronche vide, le plus infâme et pustuleux « bibi ». Jamais la mode des chapeaux féminins ne fut aussi bassement grotesque.
Le peintre en « poires et papeaux » Pierre Bès griffonna et barbouilla ces horreurs. Collections d’oiselles folles ! Pour exposer ces croûtes, il fit imprimer des invitations avec ce tite sucré : « Leurs petits chapeaux ».
On n’est pas plus idiot.
L’exposition était parfaitement répugnante. Du reste, on ne venait pas là pour regarder la peinture…
… mais pour s’y frotter le museau, papoter des insanités, s’attoucher les inutilités.
Quand nous arrivâmes, le clown parisien, André de Fouquières , en sueur, déclamait des stupidités distinguées à l’adresse de ces femelles. Désespéré de se faire écouter, il hurlait des alexandrins par dessus l’insolent brouhaha. De guerre lasse, il s’affala dans la cohue, absorbé par les tapageurs, parmi lesquels l’inévitable pédéraste.
À côté de lui, Pierre Bès suait d’angoisse, comme un voyou pris en fraude.
Car il y a un an, ce même troupeau de folichons s’enfuyait sur la route en criaillant, en piétinant les blessés et les morts.
Il y a un an, nos camarades tombaient par grappes, par poignées, par camions, par bateaux.
Il y a un an, nous enterrions les victimes éparpillées çà et là dans les champs de blé mûr.
Il y a un an, la bourrasque folle passait sur nous.
Il y a juste un an, jour pour jour, nous pleurions des mots sans suite le long de nos campagnes de France, nous ravalions nos larmes.
Il y a un an que nos prisonniers nous regardent d’un œil froid, accumulant des pensées contre nous.
L’anniversaire était bien choisi, Pierre Bès, André de Fouquières !
Bravo !
Le Tout-Paris continue à être daim.
Ce n’est pas cette année 41 qui aura corrigé les mufles.
P.R
« Leurs petits chapeaux »
Pierre Bès recevra chez Ledoyen, aux Champs-Élysées, le vendredi 20 juin à 18 heures. Cocktail.
Les portraits de la Princesse Sevastos, Madame Puvis de Chavannes, Madame de Précourt, Madame Lefèvre-Dibon, Madame de Lyee de Belleau, La Comtesse R. de Montjou, Madame Gadala, La Baronne Powis de Tenbossche, La Baronne de Bellabre, Madame P. de Berc, Madame Lobstein, Madame Garnier d’Assailly, La Vicoimtesse de la Motte-Rouge, La Comtesse de Montrichard, Mademoiselle de Lourmel, La Baronne de Bruignac, Madame Finaz, Madame P. de Montaignac, Madame de Laage de Meux, La Comtesse A. de Virel, Madame Hennel, La Comtesse de Pelet, Madame R. Lehideux, Madame P. Collin, Madame Dupuy-Bug, La Marquise de Breteuil, Madame V. Huitric, Madame Jannink, Madame Harle, Madame Marquet, Madame de Baudel, La Comtesse de Sédouy, Madame Jouffray, Madame Cazal, Madame Herrenschmidt, La Comtesse de Roualle, La Vicomtesse Guy de la Grandière, La Comtesse d’Oncieu de Chaffardon, La Comtesse Colonna, La Vicomtesse de Braves et de Mademoiselle Jacqueline Delubac, seront présentés par
Mr André de Fouquières, Président des Parisiens de Paris.
Note de l’éditeur du site :
André Becq de Fouquières (1874-1959), est un conférencier et homme de lettres parisien et « homme du monde » français. Il participe à de nombreux événements mondains, notamment dans les principales stations balnéaires de l’époque : Deauville, Dinard, La Baule… Vers la fin de sa vie, il est élu président des Parisiens de Paris.