« Le Mannequin Assassiné » ou « Le film volé »

L’histoire mérite d’être contée.

Fin Janvier 1934, Henri Storck [1] contacte Jean Mamy et lui soumet le projet d’écrire le scénario du dernier roman de Stanislas-André Steeman ave qui il est en relation.

Les échanges de courriers [2] montrent non seulement le rôle fondamental et indispensable que Jean Mamy a joué en 1934 mais témoigne surtout de la qualité de sa contribution qui provoque l’enthousiasme d’Henri Storck.

Cependant, pour des motifs aussi sordides que des histoires de gros sous, il ne sera pas donné suite et le scénario de Jean Mamy ne sera pas porté à l’écran.

Dix ans plus tard

Arrêté en septembre 1944 par les FFI, Jean Mamy attendra quatre années à Fresnes son procès qui aura lieu le jour de noël 1948. Il sera fusillé, le dernier de l’épuration, le 29 mars 1949 dans les fossés du fort de Montrouge. Jusqu’à la date de son procès, il était «présumé innocent » et donc totalement propriétaire des ses droits d’auteur.

Or, en 1947, Pierre de Hérain [3] produit « Le Mannequin Assassiné », film en noir et blanc de 82 minutes adaptation du roman de Steeman qui y joue au demeurant un rôle secondaire, celui du médecin.

Le scénario est de Georges Chaperot et Pierre Lestringuez, qui en écrit les dialogues. La musique est de Jean Hubeau, les décors de Lucien Aguettand, le montage de Henriette Wurtzer, les photographies de Henri Thibault, le son de René Louge et les images de Marcel Grignon. Albert Loisel en est le Directeur de production.

Le film est interprété par Blanchette Brunoy (Laure), Anne Vernon (Irène), Germaine Dermoz (Irma), Mathilde Casadesus (Mme Malaise), Geneviève Callix (Rose), Gilbert Gil (Armand), Daniel Gélin (Léopold), Robert Lussac (commissaire Malaise), André Gabriello (Charles), Pierre Magnier (le notaire), Jacques Sevrannes (Gilbert), Robert Balpo (le chef de train), Jean-Roger Caussimon (Jérôme), Julien Carette (Léonisse), Stanilas-André Steeman (le médecin).

On pouvait se demander si Georges Chaperot s’est ou non plus ou moins inspiré du découpage fait par Jean Mamy en 1934 ainsi qu’en témoigne aussi le devis présenté pour ce projet dont Henri Storck a écrit le synopsis..

En 2007, un texte de Stanislas Steeman rend presque à César…
…ce qui appartenait à Storck… mais aussi à Mamy

En 2007, à l’occasion de la projection de « Quai des orfèvres » (d’après le roman de Steeman)  dans plusieurs salles pendant le premier semestre 2007, est réapparu un texte peu connu de Stanislas-André Steeman dans lequel il donne sa version de ses rapports avec le monde du cinéma, qui a si souvent adapté ses ouvrages, de « L’assassin habite au 21 » à « Six hommes morts » en passant par « Légitime défense ».

J’en ai extrait le paragraphe suivant relatif au « Mannequin Assassiné » :

« Le mannequin assassiné » avait failli être tourné une première fois en 1933 ou 1934.

« J’y avais travaillé alors avec mon ami Henri Storck, Flamand de naissance et d’inspiration, auteur d’excellents documentaires qui mériteraient d’être plus connus, et j’avais même jeté, à l’époque, les bases de la nouvelle version de ce roman que je récrivis en 1943.

« Quand les droits cinématographiques en furent achetés en 1946, je n’eus rien de plus pressé que d’exhumer cette adaptation et nous la retravaillâmes en profondeur, Storck et moi, avec l’amical concours de Robert Lussac, interprète principal du film, et de Georges Dills. Encore aujourd’hui j’ai la faiblesse d’estimer qu’elle était intéressante. Hélas, nous avions compté sans les inévitables invités de la dernière heure : Denis Marion, par ailleurs excellent écrivain et critique averti, Georges Chaperot et autres Pierre Lestringuez … J’allais oublier Pierre de Hérain, metteur en scène, dont l’apport non plus ne fut pas négligeable. » (S-A. Steeman).

Manifestement, Steeman n’a pas oublié Henri Storck, mais Jean Mamy, pourtant l’auteur de « l’adaptation » pour laquelle Steeman avait « la faiblesse d’estimer qu’elle était intéressante » est totalement sorti de sa mémoire !!!

Et il ressort de ce texte que les scénaristes du film de 1947, « invités de la dernière heure » ont mis leur propre coup de patte sur le scénario d’origine.

Plagiat, adaptation ou œuvre originale ? Il est trop tard pour rendre à Mamy ce qui était  à Mamy.

Notes

[1] Henri Storck (1907-1999) est un cinéaste belge, auteur d’une soixantaine de court-métrages. Il commence par tourner des essais documentaires d’avant-garde sur Ixelles, sa ville natale, crée en 1933 à Bruxelles la CEP (Cinéma, Édition, Production) et, à Paris, la SEP (Société d’Édition et de Production Cinématographique). Il réalise quelques films militants, travaille sous l’occupation allemande et, à la Libération, devient, en Belgique, un cinéaste au statut quasi officiel,

[2] Je ne possède malheureusement que les courriers reçus par Jean Mamy, mais l’on peut aisément appréhender la teneur de ceux qu’il adressait à Henri Storck.

[3] Pierre de Hérain (1904-1972) est le beau-fils du Maréchal Pétain. Après des débuts comme monteur, il est l’auteur de cinq long-métrages : Monsieur des Lourdines (1943), Paméla ou l’énigme du temple (1944), L’amour autour de la maison (1946) avec Maria Casarès et Pierre Brasseur, Le mannequin assassiné (1947) et Marlène (1948) avec Micheline Francey et Tino Rossi.