Le « complot synarchique »

Le terme de Synarchie a été beaucoup utilisé au début des années 1940, pour évoquer un complot cherchant à imposer à la France un gouvernement technocratique. Ce thème apparaît dans des livres, journaux, notes personnelles et circulantes, etc.

« Les réactionnaires, partisans d’un retour à l’ordre moral, s’opposaient aux technocrates. Cela aboutit à la dénonciation par les anciens de la Cagoule et de l’Action française, associés pour le coup aux collaborationnistes et notamment à Marcel Déat, d’un prétendu « complot synarchique », fomenté par les anciens d’X-Crise, des financiers proches de la banque Worms et d’une partie de l’entourage de l’amiral Darlan, comme des membres de son gouvernement. Le complot fut accusé, pêle-mêle, d’être responsable de l’éviction de Pierre Laval en décembre 1940, d’avoir fait échouer Montoire, de protéger les intérêts des Juifs, des financiers, des grands patrons et pour finir d’être responsable de l’échec de la Révolution nationale. »

Nicolas Beaupré, Les Grandes Guerres, p. 827-828

Contexte politique

En mai 1941, le maréchal Pétain reçoit un dossier qui prétend exposer « l’existence et l’activité d’une société secrète intitulée Mouvement Synarchique d’Empire (MSE). »

En juillet, le « Rapport Chavin » présente le complot synarchique comme une tentative du capitalisme international pour « assujettir les économies des différents pays à un contrôle unique et antidémocratique exercé par les groupes de la haute banque ».

Ce rapport dénonce le MSE dans un document lui-même intitulé « Pacte synarchiste révolutionnaire pour l’empire français » découvert peu de temps auparavant au domicile de l’ingénieur Jean Coutrot (qui s’est suicidé en se défenestrant le matin du 19 mai 1941).

Ce pacte est un document comportant 598 propositions articulées autour de 13 principes fondamentaux destiné à amener un nouveau système politique.

Toujours en 1941, la presse collaborationniste de Paris, qui a eu vent de l’affaire, reproche à la Synarchie d’avoir voulu saboter les accords de l’entrevue de Montoire et d’être inféodée à la Grande-Bretagne et aux USA. Marcel Déat, directeur de L’Œuvre, s’en prend à l’amiral François Darlan, responsable selon lui de l’éviction de Laval et évoque les liens entre plusieurs membres du cabinet Darlan et la banque Worms.

Le mythe synarchique à la Libération

Dans l’immédiate après-guerre, le « Pacte » est publié intégralement par Raoul Husson dans l’ouvrage Synarchie, panorama de 25 années d’activités occultes (1946). Alfred Sauvy émet l’hypothèse que « peu avant la guerre, Husson, en difficulté de divers côtés, est saisi par le mot, si évocateur, de « synarchie » et rédige lui-même le pacte, ce qui explique l’absence de nom d’auteur et de date. »

En 1944, les Renseignements généraux incluent dans la Synarchie certains gaullistes, radicaux ou résistants ralliés au Général de Gaulle.

À la Libération, la Synarchie est désignée par certains résistants comme la cause de la défaite de l’Armée française en 1940. En outre, cette défaite aurait été préparée de longue date pour amener le maréchal Pétain et sa Révolution nationale au pouvoir.

Après la Libération, la presse communiste affirmera que la Synarchie, désignée comme organisation « réactionnaire et fasciste », avait infiltré la Résistance afin de permettre aux vaincus de conserver leur influence en coulisse et de se soustraire au châtiment malgré leur forfaiture. L’historienne communiste Annie Lacroix-Riz défend la théorie qu’une partie des élites françaises aurait mis en application le slogan « plutôt Hitler que le Front populaire ».

Le mythe politique après-guerre

Les historiens contemporains considèrent la synarchie comme un mythe.

Cependant, le mythe de la Synarchie, société secrète dotée de gigantesques pouvoirs occultes, demeure prégnant dans certains milieux politiques de droite comme de gauche.

Selon un auteur catholique et antimaçonnique (pseudonyme A.G. Michel), le « Pacte synarchiste », rédigé en 1936, devient un agenda politique réel à partir de 1945 à la conférence de Yalta. Ses mots d’ordres seraient ceux qu’ont propagés en France la franc-maçonnerie laïciste et socialiste du Grand Orient de France.

L’ex-cagoulard et vichysto-résistant Henri Martin transmet sa croyance à son gendre, l’écrivain d’extrême droite Pierre de Villemarest qui considère la nouvelle politique économique en URSS, le fascisme en Italie, le nazisme en Allemagne, le New Deal aux États-Unis et la Révolution nationale en France comme des phénomènes semblables, provoqués simultanément par la Synarchie, liée à des hautes loges maçonnique.

Roger Mennevée soutient que la Synarchie est un centre de décision unique et mondial, une des « forces occultes qui mènent le monde. » Selon cet essayiste, il y aurait un « pôle Protestant » dirigé par des anglo-saxons et des nordiques, un « pôle Catholico-Synarchiste » réunissant les intérêts financiers concentrés autour de l’Église et un « pôle Communiste » tendant à déposséder les deux premiers de leur prédominance. Il y voit l’action occulte des jésuites.

En 1955, dans la revue Contre-Courant de l’anarchiste Louis Louvet, Paul Rassinier publie un article intitulé « Le Parlement aux mains des banques », où il véhicule la théorie conspirationniste de la « synarchie ».

Militante au Pôle de renaissance communiste en France, l’historienne marxiste-léniniste Annie Lacroix-Riz tente d’accréditer la théorie du complot synarchique en affirmant que « les synarques » n’auraient pas eu pour but de ruiner la Révolution nationale du maréchal Pétain mais représenteraient les intérêts de groupes financiers et d’organismes patronaux liés à des groupes ou organismes allemands souhaitant comme leurs homologues d’outre-Rhin l’instauration d’un régime fasciste.

En revanche, l’historien Olivier Dard observe que les ouvrages d’Annie Lacroix-Riz sur le sujet relèvent « d’un discours anticapitaliste d’extrême gauche qui instruit à travers la synarchie le procès traditionnel du « grand capital » et des élites » et rend ses écrits peu crédibles.