Histoire d’un scénario
Le 16 décembre 1937, Lucien Wagner dépose à l’Association des auteurs de films un manuscrit intitulé « La vie merveilleuse de Santos-Dumont, pionnier de l’air ».
Il en reçoit l’accusé de réception n°3708 le 20 décembre.
Dans l’espoir de pouvoir porter son scénario à l’écran, il constitue un comité de soutien dans lequel figurent notamment :
- Jean-Michel Tournaire dit Renaitour, député indépendant de gauche, maire d’Auxerre de 1929 à 1941, partisan de la tenue des Jeux Olympiques de 1936 à Berlin où, membre de la délégation française, il y reçoit une décoration nazie, président de la commission de la marine militaire, vice-président de la commission de l’aéronautique, président du groupe cinématographique de la Chambre,
- Paul Tissandier (1881-1945), fils de Gaston Tissandier (inventeur du dirigeable à hélice), président de la fédération aéronautique internationale, vice-président de l’aéro-club de France et ami de Santos-Dumont,
- Henry Kapferer (1870-1958), petit neveu de Henri Deutsch de la Meurthe, membre de l’aéro-club, administrateur de la Shell, ami de Santos-Dumont,
- Charles Dollfus (1893-1981), directeur du musée de l’air, historien, aéronaute,
- Colonel Ducas, colonel de réserve de l’aéronautique,
- Ernest Archdeacon, pionnier de l’aéronautique, ami de Santos-Dumont.
Début 1938, Lucien Wagner rencontre Jean Mamy, monteur, scénariste et réalisateur de renom. Ils décident de produire le film ensemble. Jean Mamy en établi le budget prévisionnel.
À la recherche de commanditaires pour en financer la production, Jean Mamy et Lucien Wagner sollicitent leurs relations, tant en France qu’au Brésil. Lucien Wagner fait passer notamment les éléments de son projet à son ami Brigolle, personnalité brésilienne bien introduite à Rio de Janeiro.
Celui-ci lui répond dès le 24 février en lui faisant état de ses contacts prometteurs : « Quant à notre affaire de film, tout va très bien. J’ai déjà touché la présidence : l’idée est déjà acceptée en principe. Avant quelques jours j’aurai l’autorisation de la famille de Santos-Dumont. Je vais faire également le dépôt du nom pour le Brésil. Je te demanderais de ne pas parler de nos projets aux personnes qui sont en rapport avec le Brésil, car il y a toujours des gens pour prendre les idées, les saboter ou les réaliser sous une toute petite échelle… ».
En juillet, les accords entre Jean Mamy et Lucien Wagner son scellés. Le 16, Jean Mamy rapporte leur conversation. Le 17, Lucien Wagner donne son accord formel et précise que désormais le scénario est enregistré sous leurs deux noms à la Société des Auteurs.
Afin de disposer d’un texte plus réduit, Lucien Wagner et Jean Mamy rédigeront un condensé du texte initial. Ils en déposeront le manuscrit (voir ici) à l’Association des Auteurs de Films sous leur signature commune le 21 septembre 1938 qui leur signalera, quelques jours après, que le tarif des dépôts a augmenté.
En août, Jean Mamy, toujours en quête de financement, demande à Lucien Wagner l’adresse de son ami Brigolle au Brésil afin de le mettre en relation avec Mr Marquis, commanditaire potentiel.
À Rio, Brigolle s’active et leur répond depuis l’hôtel Régina sur du papier à en-tête du « Ministério da Educaçao e Saudé »
Afin de donner un aspect plus professionnel à leur projet, Jean Mamy rédige, à partir des textes de Lucien Wagner qui ne sont que des résumés historiques de la vie de Santos Dumont, le synopsis du futur film.
En septembre 1938, Lucien Wagner relance son ami et député Jean-Michel Renaitour en lui adressant le tout récent synopsis.
Celui-ci lui répond positivement par retour.
De son côté, Jean Mamy n’est pas en reste et répond au courrier de Brigole en usant de tous ses arguments de soutien.
Les courriers se succèdent. Lucien Wagner fait des corrections qu’il adresse à Jean Mamy afin que sa secrétaire, Jeanne Roux, produise une version corrigée. Il écrit à Tissandier, à Dollfus, au colonel Lepetit…
La réponse négative, ou du moins quelque peu dilatoire, de Tissandier mettra près d’un moi et demi à leur parvenir..
Ce courrier à Dollfus (brouillon du 7 janvier 1939) recevra une réponse plus rapide le 22 janvier, tout en étant guère plus encourageante.
Son ami le député Rénaitour répondra quasiment par retour de courrier.
En mars 1939, Jean Mamy rencontre sa « Lady Godiva », la comtesse russe De Lavrowa, qui l’introduit, moyennant une commission potentielle de 10% sur les droits à venir auprès d’un intermédiaire juif alsacien, Geissmann à qui ils donnent des droits limités au 1er juin.
(brouillon du courrier de Wagner et Mamy à Mme de Lavrowa)
Cette option sera prorogée puisque, au mois d’août, Geissmann, Administrateur de Paris Sélection Films, avoue l’échec de ses tentatives et abandonne ses droits qu’il rend à Lucien Wagner et Jean Mamy.
Mise au courant, Madame de Lavrowa ne veut pas « lâcher le morceau ». Elle s’en prend au sieur Geissmann qu’elle a pourtant présenté aux auteurs et annonce qu’elle « se remet en chasse », cette fois-ci avec des américains.
Il y a un peu « d’eau dans le gaz » entre Mamy et Madame de Lavrowa, dont les éclats de voix slaves lui semblent excessifs, comme en témoigne le ton du courrier ci-dessus, mais « les affaires sont les affaires » et, par les temps qui courent (nous sommes à la veille d’une guerre annoncée), Jean Mamy est bien obligé de lui céder car elle est encore la seule corde à laquelle se raccrocher pour imaginer faire « s’envoler » Santos Dumont !
La guerre est déclarée. Jean Mamy et Lucien Wagner sont mobilisés et, peu avant l’invasion du 10 mai 1940, comme l’hydravion de Sao Paulo, Santos-Dumont tombe à l’eau.