jeudi 22 mars 1945
Chère petite Jeannette,
Je vous remercie de toutes vos bonnes choses. Elles me font très plaisir et je suis très touché chaque fois de vos attentions. Surtout ne vous privez pas pour moi. Que se passe-t-il pour votre travail ? Je m’inquiète. Est-ce que vous avez suffisamment d’argent pour vivre et parer à tous les frais du petit bonhomme ? Renseignez-moi. Dites-moi si tout va bien. Je sais bien qu’il a autour de lui tant de dévouement qu’il ne manquera jamais de rien.
La journée d’hier a été bonne. Je crois que mon affaire demandera un délai normal pour l’instruire. Je suis très content de Floriot. De plus, en réfléchissant à tout ce que je peux dire sur mon action, j’ai vu que j’avais négligé par erreur des choses qui pouvaient l’atténuer beaucoup et que je m’étais inutilement chargé. Je sais que la loyauté et la franchise ont leur valeur. Mais enfin, mieux vaut ne pas être pour soi-même un témoin à charge implacable. Il faut tout de même regarder aussi le bien qu’on a pu faire.
Soyez gentille d’aller à la Nationale. Voilà les articles dont j’ai besoin. Vous en passerez la copie en double à Floriot. Il m’en donnera un exemplaire.
- 8 août 43 : Sur tous les tableaux
- 21 janvier 43 : En pleine 4ème république
- 4 février 43 : Maçonnerie et dissidence
- 18 février 43 : La haute pègre capitaliste (voir si ce n’est pas là où j’attaque les cravates blanches, allusion à Laval en 3ème ou 4ème colonne)
- 25 février 43 : Pourquoi nous combattons la maçonnerie
- 1er avril 43 : La maçonnerie contre Goebbels (en entier)
- 29 avril 43 : La colère du peuple (? id)
- 10 juin 43 : Vers un bain de sang français (en entier)
- 24 juin 43 : Le complot maçonnique
- 6 janvier 43 : Ultime manœuvre maçonnique
- 17 février 43 : La maçonnerie contre Darnand
- 30 mars 43 : Nous ne sommes pas des énervés (en entier)
- 4 mai 43 : Fraudes maçonniques (en entier)
Ne prendre dans les articles que les passages les plus significatifs où j’attaque Déat et la maçonnerie parisienne ou collaborationniste.
Voilà bien du travail. Je vous en réserve d’autres. Je vous ferai parvenir prochainement la pièce que j’ai corrigée et terminée. A taper en plusieurs exemplaires et remettre à ma mère ou ma femme. C’est la nouvelle version de Lancelot des Bois.
À part cela, je suis en train d’écrire deux bouquins. Vous voyez qu’à travers les soucis de l’instruction, on ne s’ennuie pas.
Et comment va bébé ? Marche-t-il déjà ? Je ne le crois pas encore. Ai-je bien fait de vous conseiller ainsi ? Un enfant apporte-t-il plus de joie que de souci dans une maison ? Je crois pour moi qu’il est un soleil vivant.
J’espère que non seulement nous sortirons de ces ennuis mais que la France se guérira de ses blessures dont la plus grave est la désunion entre les Français. En ce moment il n’est guère possible de parler véritablement d’unité française. Nous allons à grands pas vers une expérience matérialiste terrible, à moins qu’un homme de génie apparaisse, ou que les événements mondiaux changent brusquement. Si vous saviez ce qu’on rencontre de braves cœurs pleins de confiance et de sagesse dans les prisons. Il y a le meilleur comme quelquefois le pire, mais surtout le meilleur.
Remerciez Brassart [1] de tout ce qu’il a fait. Je lui suis très reconnaissant. Floriot [2] est vraiment l’avocat rêvé.
Et pour vous, que faut-il vous dire ? Des choses qu’on n’écrit pas. Alors je vous les dis. Avec mes bonnes affections tendres, et mes bons souvenirs pour toute votre famille.
JM
J’ai besoin d’enveloppes.
[1] Georges Brassart, mon parrain, était greffier au Palais de Justice de Paris.
[2] René Floriot (1902-1975) est l’avocat chois par Jean Mamy. Dans les années 1930, il se crée une réputation auprès de personnes riches et célèbres en obtenant des divorces rapides alors qu’habituellement la procédure prend deux à trois ans. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, il défend des collaborateurs et criminels de guerre. Il est, à son époque, probablement le plus cher des avocats parisiens.