JM à Pierre Leroy (Fresnes 49/01/17)

Mon cher maître,

Je me suis inspiré du thème de votre projet de demande de grâce et ai pondu l’objet ci-joint. J’ai cru qu’il fallait s’étendre un peu plus —pas beaucoup. Vous me donnerez votre avis. Si Auriol lit jusqu’au bout —et il doit le faire— il comprendra en quelques mots le personnage qu’il doit juger. Il me semble que cette demande contient tout —surtout le refus que j’éprouve à faire des concessions. Je demande, non pour moi, mais pour les miens. Vous pensez bien que si ma famille n’était pas là, je considérerais comme un honneur indispensable de rejoindre au plus tôt mes camarades. Ceci n’est pas goût de suicide. Il n’y a plus de place pour des hommes désintéressés dans une pourriture matérialiste. À moins que Dieu nous fasse la place. Avec quelles armes ?

On me rapporte la dernière phrase du nouveau bouquin de Bardèche [1], pour lequel il est inculpé : « savoir si les SS, dans le prochain conflit, seront avec nous, ou chez nous ? ». Je comprends le frémissement de nos adversaires qui hurlent devant la justesse possible d’un tel propos. Aider les SS ou les subir !!! On demande à des démocrates forcenés de rejeter par la fenêtre beaucoup plus que leurs personnes. La religion libérale est la plus sectaire, la plus rigoureuse dans la répression, dans l’étroitesse de jugement.

Nous parlions tout à l’heure de la nécessité de l’alliance franco-allemande. Vous m’avez dit que, même si cela était vrai —et c’est vrai— l’argument ne valait rien pour ma défense. Je vais vous rapporter succinctement les propos tenus hier par l’aumônier, à son prêche dominical à Fresnes : « on a besoin de vous (politiques) dehors. Ce pays vous attend, vous, pour le reconstruire. Tout est détruit. Tout est perdu. Ce qu’on vous a fait est abominable. Je ne peux même pas vous demander de pardonner. (sic) !!! Patientez, vous serez bientôt délivrés. Je vous le donne en certitude. ». (Cet homme était M.R.P., il y a trois ans, et le premier à accuser les « collabos » de s’être trompés).

Il ne faut jamais avoir raison quand on est vaincu. La logique est bousculée d’autant plus violemment par la violence, que les intérêts des violents sont illogiques. Je crains cependant que la France continue à faire les frais d’une expérience épouvantable. Les hommes qui se disputent le pouvoir sont les pires incompétents, et les plus avides. En plus de notre idéologie d’ordre, nous avons commis le crime de nous complaire dans notre vertueuse pauvreté.

Depuis le 24 décembre (voici 3 semaines) j’ai jeté rapidement sur le papier une pièce en trois actes que j’avais en tête (comédie dramatique moderne – duel entre le bien et le mal). Je commence dans huit jours un nouvel ouvrage dont je vous parlerai. Mais ce n’est pas la précipitation morbide du futur supplicié qui se dépêche de jeter à la postérité quelques cris trop rapides. C’est l’expression de l’homme qui continue sans se soucier de ce qui peut arriver (—ou non— J’ai confiance dans toute l’honnêteté qui se dégage de mon affaire. Il ne faut jamais ruser avec la vérité, nos motifs, nos aspirations, nos fautes). Vous me disiez que, entre deux idéologies (nazie et maçonnique), j’apparaissais prétendre que la première était moins dangereuse que l’autre. Peut-être, il y a quatre ans. Tout est dépassé aujourd’hui. Un monde s’est reformé. Le racisme hitlérien (cette stupidité, entre nous) est impensable aujourd’hui. Le national-socialisme ou fascisme sont des solutions locales —pangermanistes—panitalianiste— Le concept Europe s’imagine moins en fonction des races que de l’unité économique continentale. La guerre prochaine s’engagera entre deux idéologies qui disparaitront peut-être en route. Les vainqueurs ne seront pas ceux qui, de part et d’autre, auront déclenché le conflit. Nous sommes, nous, d’une génération qui a été élevée dans l’espérance pacifiste (Société des Nations, etc…). Tout contredit le jeu des vieillards qui nous ont lancés dans cette folie. Jusqu’où faudra-t-il nous durcir pour rétablir l’équilibre ? Voilà pour les problèmes de demain —pour ceux qui osent les affronter. Il y en a d’autres qui ne rêvent que de fuir. Mais où ? Et ceux qui fuient sont généralement frappés plus vite que les autres.

Je conçois la difficulté que vous éprouvez à défendre mon affaire. Devant vous, des justes et des injustes. Ce qui est le pire c’est que, par ignorance, souvent, les justes couvrent le jeu injuste. Du reste, je ne m’illusionne pas. Étant donnée la rage des adversaires, on ne peut pas nous défendre. On ne peut que nous dissimuler. Si j’ai récolté tant d’injures, c’est que —par nécessité, et aussi par tempérament— je me suis offert en pleine lumière aux coups des témoins. Je ne le regrette pas.

Donnez-moi des nouvelles de l’affaire. (surtout du coup de téléphone à Ch). Si vous ne pouvez venir, dites tout à Jeannette Roux, qui me l’écrira. C’est sur elle que je bâtis toute ma vie possible, une fois le cap franchi, si Dieu veut. Merci mille fois encore. Vos visites m’encouragent à penser que vous avez compris le problème intérieur de certains hommes qui ne croyaient pas trahir en défendant contre tout une certaine tradition qu’on avait perdue de vue de l’autre côté. Veuillez croire à ma reconnaissance dévouée.

J.M.

[1] Maurice Bardèche (1907-1998) est un écrivain, universitaire, biographe et polémiste français du XXe siècle. Considéré par certains historiens comme le fondateur du négationnisme en France, il fut, dans les années qui suivirent la Seconde Guerre mondiale, le seul intellectuel français de renom à se réclamer explicitement du fascisme. À la Libération, arrêté car proche de Brasillach, il est vite relâché, alors que son beau-frère est fusillé. Dans sa Lettre à François Mauriac (1947), pamphlet vendu à 80 000 exemplaires, s’il défend l’idée de « collaboration » et les fonctionnaires nommés par Vichy, remet en cause la « légalité » de la Résistance et critique les excès de l’« épuration permanente », il exprime ses réserves sur la création et les méthodes de la Milice. Dans Nuremberg ou la Terre promise, publié en octobre 1948 et tiré à 25 000 exemplaires, il plaide en faveur de l’Allemagne nazie, contestant aux Alliés le droit légal et moral de juger les dirigeants du IIIe Reich pour des actes qu’ils avaient « peut-être » commis, et exprime des thèses négationnistes dont les arguments deviendront des classiques de la négation de la Shoah : « Si la délégation française trouve des factures de gaz nocifs, elle se trompe dans la traduction et elle cite une phrase où l’on peut lire que ce gaz était destiné à “l’extermination”, alors que le texte allemand dit en réalité qu’il était destiné à “l’assainissement”, c’est-à-dire à la destruction des poux dont tous les internés se plaignaient en effet […]. Il résulte clairement des pièces du procès que la solution du problème juif, qui avait eu l’approbation des dirigeants nationaux-socialistes, consistait uniquement en un rassemblement de Juifs dans une zone territoriale qu’on appelait la réserve juive : c’était une sorte de ghetto européen, une patrie juive reconstituée à l’Est, c’était cela que prévoyaient les instructions connues des ministres et des hauts fonctionnaires, et c’était cela seulement. […] Et nous n’avons pas le droit d’en conclure davantage que le national-socialisme aboutissait nécessairement à l’extermination des Juifs : il proposait seulement de ne plus les laisser se mêler à la vie politique et économique du pays, et ce résultat pouvait être obtenu par des méthodes raisonnables et modérées. […] [Ne] sommes-nous pas victimes d’une propagande dont les effets peuvent être un jour terriblement préjudiciables au peuple français ? ». Ce qui lui vaut saisie et procès : après maintes tergiversations de la justice, Bardèche est condamné à un an de prison ferme et 50 000 francs d’amende pour « apologie de crimes de guerre » et le livre interdit à la vente (note de FGR).