Lundi 3 janvier 1949
Mon chéri,
Je suis restée quelques jours sans t’écrire, mais tu devines bien que je n’ai cessé de penser à toi. Toutes les démarches qui peuvent t’être utiles seront faites. Et ce qui importait cette semaine c’était de s’assurer de l’éloignement de la décision de pourvoi. Sois tranquille, nous avons du temps devant nous. Et nous trouverons bien des occasions d’en gagner encore.
Me Leroy se proposait d’aller te voir hier dimanche. Je suis rentrée trop tard pour lui téléphoner ce soir. Je l’appellerai demain. J’espère qu’il me donnera de toi quelques bonnes nouvelles. J’espère surtout que sa visite t’aura convaincu qu’il est acharné à obtenir ta grâce, et aussi qu’il n’est pas trop mal placé pour y parvenir. De son côté, comme du mien, rien, sois en sûr, ne sera négligé.
Je reçois bien tes lettres, toutes tes lettres. Elles me font très plaisir, —encore que je les préfèrerais plus discrètes sur la récente découverte du grand Amour que tu as pour moi. Je sais tellement, moi, que c’est depuis toujours que tu m’aimes aussi fort. Je le sais, ne viens pas me dire le contraire… Elles me font très plaisir parce qu’elles sont affectueuses, presque sages, quelques fois logiques, souvent sincères, très peu folles, toujours courageuses, et surtout parce qu’elles me persuadent que tu ne souffres pas trop de la situation.
Mais elles me déplaisent fort, tu t’en doutes, lorsque tu déclares par exemple : « je n’ai pas de place dans ce monde-là. Il faut monter beaucoup plus haut. Vivre à une altitude où la haine, etc… etc… ». Non, mais, pour qui te prends-tu ? Pas de place dans ce monde-là ! … ?
Mais c’est là, j’en suis sûre, qu’est toute ton erreur. Sais-tu que tu n’es guère différent des autres ? Ni meilleur, ni pire : un homme avec des défauts et des qualités. Regarde-toi, Mon chéri : conviens que tu n’as rien d’un ange… et reconnais que sur cette terre, il n’y a pas que des démons, mais seulement des hommes, de pauvres hommes qui ne devraient s’efforcer chacun que d’essayer de devenir meilleurs au lieu de toujours prétexter les soi-disant mauvais sentiments du voisin pour justifier leurs attaques. (C’est un peu bafouillé ce que je viens d’écrire là. J’espère que tu t’y retrouveras, en tous cas, je comprends bien, moi, ce que je veux dire). Et sur ce, je continue à avoir pour toi la plus haute estime, la plus grande confiance, et je serai fidèle à t’attendre aussi longtemps qu’il le faudra. Et tu verras comme nous saurons être heureux.
Dis-moi comment tu t’organises et ce qu’on peut faire pour toi. Je t’ai envoyé ce matin un mandat de 1000 francs (je te l’indique pour que tu puisses en vérifier la bonne réception). Je pense t’envoyer personnellement régulièrement chaque lundi un mandat. Et j’espère bien qu’un prochain jour les colis reprendront… pour quelque temps. Et qu’un jour un peu moins prochain, mais pas trop éloigné quand même, nous déjeunerons à la même table, ayant complètement oublié ces mauvaises journées.
Je t’embrasse, Mon chéri, Je t’aime beaucoup, Ni plus, ni moins. Toujours pareil.
JR