JR à JM (49/02/21)

 

Lundi 21 Février 1949

Mon chéri,

Si la lettre (que dis-je ? les neuf petites lignes plus trois ½ lignes) que j’ai reçue de toi ce matin n’était pas précisément datée de vendredi 18, je voudrais bien admettre que c’est à « un tas de pages d’écritures » que j’ai été sacrifiée. Comme au surplus, tu plaides coupable, et qu’à première vue, tu parais de bonne foi, je t’accorderais les circonstances atténuantes, et je t’acquitterais au bénéfice du doute.

Mais je suis plutôt tentée de croire que tu m’as menti, et que c’est à « quelques lectures » (de fort mauvais goût d’ailleurs) que j’ai été sacrifiée.

Aucune importance, du reste ! Ce qui compte pour moi, c’est que tu aies passé, vendredi, un bon moment. Et si tu as pris plus de plaisir à lire ces vilaines pages qu’à m’écrire longuement, eh bien, je suis contente.

Voilà à quel point je t’aime, moi. Je suis heureuse même si tu n’as que le temps de penser un peu à moi. Je suis heureuse rien qu’en pensant à toi.

Rien de nouveau, la semaine dernière. On dirait que ça dort un peu. J’y veille et vais à nouveau me renseigner demain. Je n’ai pas revu Me Leroy depuis mardi. Je n’avais rien de particulier à lui dire, mais je lui donnerai un coup de fil demain ou après-demain pour garder le contact.

J’ai mis ce matin à la poste ton petit mandat hebdomadaire. Je t’ai obéi : je l’ai fait de 500 seulement. Mais surtout n’hésite pas à me demander davantage, si besoin est. On ne doit pas te rapporter grosses provisions avec 500 francs.

J’ai été débordée de travail cette semaine. Mais, ouf ! J’ai embarqué mon patron hier soir (et je peux dire « embarqué » car, pour pouvoir me dicter jusqu’à la dernière minute, il m’a traînée dans sa voiture jusqu’à la Gare de l’Est, et il s’en est fallu de peu que je me retrouve à Bâle ce matin) et me voilà un peu tranquille (oh ! un peu seulement car il m’a laissé de quoi m’occuper) jusqu’à jeudi matin.

Certains journaux de ce matin parlaient d’une révolte chez vous. Mais je crois que ça n’est pas tout à fait vrai. En tous cas, « l’importante opération de police et les fouilles minutieuse ont tout de même permis de découvrir… quelques couteaux et une correspondance sans importance », précisent les journaux. Amusant !

Je te promets de t’écrire à nouveau bientôt. Ce soir, je vais vite dormir. Je suis déjà dans mon lit d’ailleurs, et je t’écris sur mes genoux.

Je m’ennuie, tu sais Je voudrais t’embrasser très fort.

JR