Lundi 7 Février 1949
Mon chéri,
Je t’ai écrit hier soir, et j’ai reçu ce matin la lettre désirée. elle est datée du 3. Elle m’est parvenue juste avant que je fasse partir le mandat. J’ai donc pu le faire de la somme désirée, soit : 1000 francs. Je téléphonerai ce soir à ta mère pour lui faire part de ta demande, et pour lui donner de tes bonnes nouvelles, car tu me parais d’assez belle humeur et très raisonnable. Pas du tout hargneux. Tout à fait comme j’aime que tu sois.
Je téléphonerai aussi à Me Leroy, et je ferai ce qu’il y a à faire comme démarches.
Je n’ai pas lu le dernier bouquin d’Albert Paraz [1] (la correspondance avec Céline). J’en parlerai à ton ami Géranton, qui a dû lire ça, et qui pourra, sur une prochaine lettre, te dire ce qu’il en pense.
Tu m’étonnes de ne pas connaître l’Indépendance Française [2]. Je vous croyais mieux informés, vous autres de Fresnes, d’autant que 4 ou 5 colonnes du n° de la semaine dernière étaient consacrées à la défense de Gallet et d’Hulot (Entre-nous, j’imagine que ces monarchistes sont moins préoccupés de la « défense » de ces deux condamnés que de l’occasion d’une « attaque » contre le gouvernement actuel). Moi, je suis bien contente qu’ils n’aient pas parlé de toi. Je préfère te défendre moi-même. C’est que je m’y entends, sais-tu à te défendre. (Pour un peu, j’arriverais à me persuader moi-même, que tout ce que tu fais est bien fait,… tant je veux en persuader les autres).
Mais, rassure-toi, tu n’es pas jugé dans les plus mauvais. Les mauvais dossiers ne manquent pas (on me le disait encore tout à l’heure). Espérons que, par comparaison, le tien pourra paraître bon, … disons, pas trop mauvais.
En tous cas, son circuit ne s’organise que tout doucettement. Il m’a plutôt l’air d’avoir piétiné depuis trois semaines.
Ton ami Géranton vient de me téléphoner. Il insiste pour que j’aille dîner chez lui jeudi. Je ne me suis pas trop fait prier —encore que je n’aime plus du tout sortir et laisser Frédéric— contente que je suis de pouvoir parler de toi longuement. Tes oreilles tinteront jeudi soir.
Mercredi dans l’après-midi, je dois voir le Monsieur de la rue Ampère. Non pas pour lui demander quelque intervention, mais simplement parce qu’il n’a cessé, depuis 4 ans, de me demander souvent de tes nouvelles. Je veux aller déverser sur toi des tas de louanges, afin qu’il ne reste pas sur l’impression qu’auraient pu lui laisser de mauvais articles de presse. Et puis on ne sait jamais… Ça peut même être plus utile que je crois.
Ne manque pas de m’écrire souvent. Je t’embrasse, jusqu’à te réchauffer.
JR
[1] Albert Paraz, romancier et journaliste français né à Constantine (Algérie) le 10 décembre 1899 et mort à Vence le 2 septembre 1957. Paraz était un proche de Louis-Ferdinand Céline avec lequel il entretint une correspondance ; Céline l’a du reste recommandé à l’éditeur Denoël pour publication de ses premiers ouvrages. En retour, Albert Paraz soutiendra ardemment son ami en France alors qu’il est exilé au Danemark. Polémiste, antisémite, il collabora à divers journaux et revues d’extrême droite tel que Rivarol et se posa en anarchiste de droite. Il fut le préfacier du Mensonge d’Ulysse de Paul Rassinier, l’un des ouvrages fondateurs du négationnisme. (note de FGR)
[2] L’Indépendance française (Paris, 1946-1950), journal royaliste français dirigé par Jean Madiran pour tenter remplacer le célèbre quotidien L’Action Française (interdit de parution en 1944 pour complicité avec le Régime de Vichy). Le journal est suspendu d’octobre 1946 à mars 1947 et en février 1948 pour ne pas avoir obtenu l’autorisation éditoriale préalable.