JR à JM (49/02/06)

 

Dimanche 6 Février 1949

Mon chéri,

Chaque matin de cette semaine j’espérai te lire et —à part lundi où j’ai reçu ta lettre datée du vendredi 28— je n’ai rien eu de toi.

Qu’est-ce que ça veut dire ?

Sans doute auras-tu été trop bavard et la censure se sera vengée. Je ne vois pas d’autre motif. J’ai hâte d’être à demain matin espérant qu’une lettre me parviendra enfin.

Je pense que tu reçois bien tous mes mots. J’ai dû t’écrire le dimanche 30, puis certainement le mardi 1er et le mercredi 2 —où je t’ai envoyé 5 petites photos. Les as-tu reçues ?

Cette semaine, je n’ai pas grandes nouvelles à te communiquer : rien de particulier. Mais, sois tranquille, avec mon jeune patron, je continue à veiller à nos affaires, et je garde le contact avec Leroy.

Cet après-midi je suis —comme presque chaque dimanche— restée bien tranquillement à la maison, à mettre de l’ordre dans les vêtements de Frédéric (pendant que, profitant du temps magnifique qu’il fait ces jours-ci, ma sœur l’avait emmené faire un tour au bois). Moi, ça me repose de ne pas avoir à sortir. La radio marchait. J’ai entendu la retransmission des « Mains sales ». Je déteste ce genre de pièces de théâtre… surtout maintenant. Par contre, j’ai fort apprécié « Hans, le joueur de flûte » (tu me reconnais bien là) et j’ai écouté avec beaucoup de plaisir les Concerts Colonne qui donnaient l’« Ouverture du Freischitz » de Weber, le « Concerto de Mendelssohn » (pour violon et orchestre), le scherzo du « Songe d’une nuit d’été » de Mendelssohn et deux œuvres modernes que j’ai moins aimées.

Quand je dis que je déteste « les mains sales » ce n’est pas parce que l’action se passe dans un milieu communiste. Ça me déplairait tout autant si ça se passait Bd Flandrin ou Rue de la Faisanderie (tu t’en doutais un peu).

Je voudrais que Frédéric, quand il sera grand, n’aille jamais voir un film (ou pièce) politique ou d’espionnage. Pour l’instant, c’est encore Guignol qui l’intéresse. Tant mieux. Et encore… il n’est pas toujours de mon goût ce Guignol qui donne de grands coups de bâton (ce qui, d’ailleurs, amuse le mieux les gosses).

Tu auras eu de mes nouvelles ce matin, et je t’en promets vendredi. Je mettrai demain ton petit mandat et si, comme je l’espère, je reçois une lettre de toi, j’y répondrai rapidement. Je suis désolée de voir que le froid à l’air de vouloir prendre. Comment es-tu habillé ? As-tu récupéré tes peaux de mouton (gilet et sac) ?

Je pense beaucoup à toi. Et j’ai presque honte d’aller me glisser dans des draps et des couvertures bien douillets et d’être seule à en profiter. Mais, qu’y faire ?… Je t’embrasse très fort.

JR