Lundi 28 mars 1949 – Prison de Fresnes
« Veille d’armes » est le titre d’un film muet de Jacques de Baroncelli sorti le 1er mai 1925 dans lequel Jean Mamy interprète un rôle de marin.
Le 28 mars 1949, c’est la veille du jour où il sera passé par les armes, exécution qu’il sent toute proche bien qu’il n’aie pas encore été informé officiellement du rejet de son recours en grâce.
Il écrit trois lettres.
La première à sa mère :
Ma chère petite maman,
Ce mot d’usage qui ne servira peut-être pas, mais qu’il est utile de préparer. Je suis si plein de paix, d’amour, de vie, que nulle épreuve ne m’atteint plus. L’homme éternel; l’idéal absolu, n’a plus de forme humaine. Je vais vers cette conception miraculée, vers cette perfection impondérable, abandonnant tout derrière moi, mais vous chérissant, vous nourrissant, vous consolant d’un amour immense.
Courage, patience, paix ! Continue ton chemin pour aller sur la plus haute montagne, la vie y est si pure qu’on n’y voit plus la douleur, ni la chair. C’est là où le Christ se révèle. Je suis déjà dans cette transfiguration extraordinaire. Jamais je n’ai été aussi heureux et calme, délivré, libre, puissant. Jamais je n’ai éprouvé autant d’amour pour la vie, la vraie, la seule. Jamais elle ne m’a répondu avec autant de force.
Là où je vais, je serai encore plus vivant, plus pur, plus actif, plus paisible, plus glorifié. Je t’embrasse en toute paix sachant que chacun des jours de ton expérience sera béni et que tu montes sans cesse vers l’Amour.
Ton fils qui t’aime par delà tout éternellement.
Jean
PS. Réjouissez-vous !
Guide Bernard vers la Science sans le forcer.
La seconde sera pour son fils, Bernard, âgé de 17 ans et 3 mois, à qui il avouera qu’il a un frère
Mon Bernard
L’épreuve que tu subis ne doit pas te paraître dure si tu sais regarder déjà plus haut que la terre. Je ne te quitte pas. Je ne quitte personne. Je suis toujours là. Il n’y a pas de séparation. Il faut que tu vives intérieurement dans l’immense paix de cet Amour indicible que j’ai trouvé de plus en plus ces jours derniers. Si tu savais comme la vraie vie est pure et belle. La Bible dit « le Royaume de Dieu est au dedans de nous ». C’est la vérité absolue. Tu ne souffriras jamais. Tu rayonneras de joie et de bonheur et tu répandras autour de toi des bénédictions sans nombre si tu acceptes cette simple vérité.
Je t’ai aimé par dessus tout. Mais avant de partir je dois te faire une confidence : Ne me juge pas. Accepte ce que je demande.
À ton insu (car nous étions séparés ta mère et moi depuis de longues années), tu as un frère. Il a cinq ans. Le jour où tu commenceras à sentir s’éveiller en toi un sens d’affection fraternelle, je voudrais que discrètement, sans que ta mère en prenne le moindre ombrage, tu le connaisses, tu l’aimes, tu le protèges, tu l’aides, tu fasses pour lui ce que j’aurai fait.
Tu es mon fils que j’adore. Et c’est parce que je te sais un grand cœur loyal, droit, sincère, profond, que j’ose te confier cette mission particulière.
Je voudrais aussi que tu honores notre nom. J’avais consacré ma vie à un combat contre l’erreur. Monte plus haut que moi. Élimine toute violence. Détruit toute l’erreur par l’Amour. Sache que Dieu est notre père à tous et qu’il est tout. Il te bénira sans relâche comme il me bénit, comme il bénit tous les hommes qui ouvrent les mains pour recueillir ses dons.
Je suis avec toi toujours, puisque je suis avec Dieu. C’est en lui que tu me trouveras.
Et sans émotion humaine, mais avec une tendresse infinie, je t’embrasse. N’aies pas de douleur. Tout est bien. Éternellement.
JM
PS. Je te confie aussi ma mère. Tu l’accompagneras jusqu’au bout avec un amour totalement dévoué.
La troisième, la plus longue, sera pour ma mère :
Ma chérie, Jeannette,
Au cas où… je te donne les dernières recommandations :
1°/ Je te répète ici trop brièvement, mais il faut le savoir que tu es ma femme, ma compagne, la seule qui m’ait aidé et compris, et celle avec qui je serais resté toujours. Néanmoins tu ne pleureras pas, parce que je ne le veux pas. Un départ n’est pas triste quand on pense à l’arrivée, à la réunion prochaine. Tu élèveras Frédéric selon les idées les plus hautes. Je voudrais pour toi et pour lui que tu entres en contact avec ceux qui te montreront la voie de la consolation : mes amis de Christian Science. Mais tu es libre. Fais le si tu le sens, si tu le veux. Ne t’y oblige en rien.
Aime cet enfant, conduis-le, dirige-le. Qu’il devienne un homme pur, intègre, fort. Qu’il soit habile dans un métier sûr. Qu’il se discipline intérieurement. Qu’il reflète la loi d’Amour.
Refais ta vie s’il le faut. Tu ne dois rien négliger pour trouver le calme, l’aisance, la paix. Je suis toujours avec toi.
2°/ Pour ce que je laisse, tu verras Leroy à qui j’ai donné toutes indications. Publiez tout. Je crois que tout est à peu près au point —sauf évidemment mon journal qu’il faudrait réécrire. Avant de le donner à Leroy et Creyssel, tu le reliras soigneusement. Tu le taperas, et tu expurgeras toutes les phrases qui peuvent être blessantes pour quelques gens de Fresnes (je compte sur toi pour expurger avec tact ce qui pourrait atteindre des camarades sur qui j’avais noté des petites bêtises). Par contre laisse les attaques sur ceux du dehors.
Pour les pièces, elles sont toutes jouables. Il faudra les éditer, puis les placer. Ce sera le travail de tous ceux qui s’intéressent à ce que j’ai pu écrire.
3°/ Tu t’occuperas de ma mère le plus possible, pour qu’elle puisse aller jusqu’au bout de son expérience dignement et simplement.
Je ne puis te dire plus de tendresses que ce que je t’ai écrit depuis quatre ans. Mais l’Amour ne cesse pas, il devient plus pur et plus puissant. D’où je serai, je t’aimerai encore davantage. Et je ne serai pas loin, tout près, plus près encore peut-être que tu crois, dans ton cœur, tout entier, tranquille.
Il faut que tu vives avec moi toute heureuse. C’est un grand soleil que d’avoir un amour si complet qui remplisse tout. Tu vois que je ne m’en vais pas.
Donc je t’embrasse. Encore une fois. Comme si le train partait. Et nous nous retrouverons à l’arrivée avec un bonheur mille fois multiplié.
Jean
PS. Je te laisse quelques lettres pour des amis. Tu les feras parvenir