La jeunesse qu’on s’arrache

Au Pilori, 21 février 1941 (signé Paul Riche)

La lutte paraît engagée entre ces Messieurs laïques et ces Messieurs de robe noire : les instituteurs d’âme rouge et les Jésuites prêcheurs de crucifixion.

Paris contre Vichy, problème politique ? Pas du tout. Nous sommes en plein fanatisme : religieux contre anticléricaux.

On marquerait les coups en gueulant de joie, comme au combat de boxe s’il il ne s’agissait que deux.

Mais il s’agit d’autre chose ; pardon, ma France ! Il s’agit des générations qui viennent, de nos fils, de nos moutards, nous joupiots, nos bambins, nos lardons, nos petiots, nos mouchtatiots. Excusez du peu.

Nous aussi nous avons été mômes.

Ah ! Comment qu’on l’a été, tiraillés, harponnés, dépecés, émiettés, jetés de gauche à droite, de cagots en instituteurs ! Quel champ de bataille, notre pauvre petite enfance !

Oh nous a saccagé nos jeunes années. On a tenté de nous abrutir avec d’absurdes hypothèses, avec des fourbis estampillés Trucs ou en Machins, avec des Sciences et des Contre-Sciences, avec des débats entre « professeux », entre enjuivés et juiffus, entre Rabin-Monseigneur et Talmud-Pion, entre Science-Kabbale et Latin-Youtre.

On nous a mangé la confiance à toutes les sauces.

Nous croyions — jeunes que nous étions (oh ! puceaux !)— Sinon à un monde parfait, du moins à un monde possible. Nous avions, chose chère ! précieuse ! de l’enthousiasme, du feu à vivre, la joie de construire des émerveillements, des naïvetés, la passion de l’œuvre. Nous étions propres, sans une ombre de volonté à mal faire. On allait vers la vie, tout naturellement, sans contraintes, sans détours, sans couloirs, sans antichambres, sans sacristies, sans Grand-Orient. On s’était donnés tout entiers à la grande promesse de Vivre.

Ah ! Les bandits !

Férocement ! De tous les côtés qui se sont précipités sur nous, fragile ! Et je te vaccine ! Et je t’inocule de la théorie ! Et du stérile ! Et du pustuleux ! Et du factice ! Et de l’utopique ! Un peu de baliverne ! Une abracadabrance ! La mienne ! Non, la mienne. Viens sur ma soutane ! Léchez ma jaquette !

Ah ! Les mufles !

Du côté cagot, déformant systématiquement la pensée chrétienne primitive, on offrait un catéchisme édulcoré à la mode bourgeoisiote de 1880, une théologie de bedaud, des idoles en plâtre du style bondieuseries de Saint-Sulpice. Un effroyable décor païen de purgatoire, d’enfer, de damnation, de crucifixion, de solitude, de macération dans le dogme, de dévastation de l’esprit par l’effroi du mal, de cautérisation de tout.

Un contre-Évangile !

Nous, mômes traqués, on sentait chaque jour s’appesantir sur nos épaules une défense de plus, une interdiction lourde. Et je te coupe ! Et je te cisaille ! Pas espoir ! Sauf dans le malaxeur-concasseur jésuite, le dogme-épouvantail, la série noire ! Et maintenant, va petit mousse ! Tu es arrivé, mon séminariste, avec sur tes épaules ce recommandable fardeau de malédictions, cette belle morveuse suggestion dégénérescente, la magique souffrance des catéchumènes, l’épouvantable péché originel, l’abominable sacrilège de vivre, marqué du pouce bigot !

Ah ! Jésus !

Du côté anticlérical, une pareille bande d’hommes encore plus noirs nous imposait avec rage son autre petit décor, en carton-pâte tricolore, celui-là. Avec eux, il fallait descendre du singe, saluer Darwin, lécher la bave de Rousseau, se frotter de l’ail de Voltaire, adorer l’ion, l’électron, le proton, la « mathématoc » et les symboles chimiques. Je vous salue mon H2SO4 ! Notre Atome qui êtes aux cieux ! Se paillassonner aux pieds de l’Impuissance-humaine-à-comprendre-sa-destinée-éternelle ! (Les petits-enfants hindous en savent plus que les vieilles barbes européennes à ce sujet). S’avouer tout de go vaincu, tortue, laïque, dévot dans le doute ! Rerépéter : « je ne sais pas ! Nous ne savons pas ! Peut-être que ! ». Perroqueter : « Hypothèse ! Supposition ! ». : Avaler la prose des grands bonzes en redingote : Poincaré, Bergson et autres têtus, piétiner la métaphysique parce que « ça n’existe pas ! » (C’est le prof’ qui l’a dit et c’est pas dans programme !). Et plus tard, quand on a tourné toutes les pages, épuisé tous les trucs et qu’on a découvert la ficelle, on s’aperçoit que cet égout de l’enseignement conduit à un triangle : au temple maçonnique, à un Jéhovah symbolique dont la substance est une remâchure de quartier, un sen-sen-gum de Grands Principes,  une chique kabbalistique, le mythe des ignares, le cocasse, un soliveau juif pour élections : Le Grand Architecte de l’Univers, pas moinsss !

Sectaires !

La France est devenue un champ stérile d’idées juives. Le peuple avait besoin d’une morale, d’une élévation au-dessus de la matérialité de sa tâche quotidienne, d’un idéal religieux simple est clairement conçu. Sous prétexte de combattre des superstitions néfastes, les rouges communisants, les barbifieux du petit père Combes et autre potentats du « Savoir à tout faire », ont éjecté des années durant, sans en comprendre la bêtise, du dogme démocratique juif, du Talmud baptisé philosophie, de la science des ânes. Ils ont pourri le national jusqu’à l’os, en effleurant les cerveaux, de leur baguette de prestidigitateur de l’École Normale. Ces descripteurs ampoulés de la planète ne voyaient que par le trou de leur matérialisme myope. Le monde, c’est ce machin-là. Rond, en boule, cinq parties avec de l’eau autour ! Voyez la carte. Éphémère, mortel et géographique ! Surtout pas de Dieu ! Ça n’existe pas ! Dieu ? Ce barbu ? Cette idole à nègres ! Fi ! Nous les anticléricaux ! Les forts en thème, nous les costauds, nous nions Dieu, l’Esprit, l’Âme, l’Être, tout ce bataclan pour artistes ou prophètes ! Nous adorons le Progrès ! Les Principes ! Les Symboles ! Hiram ! Ah ! Ah ! la lettre G ! L’étoile flamboyante ! Voilà qui est neuf ! Et puis, les copains du quartier ! La philosophie après boire ! L’idéal bistro ! Votez pour moi ! Le gouvernement par en bas ! La révolution sociale ! Le tourneboulage du Grand soir ! L’atome de demain ! Demain, on gouvernera gratis ! Et vive la Liberté, nom d’un Pernod ! Qu’on se saoule de mots ! Et qu’on en crève. Car nous l’affirmons ! Et c’est vrai puisqu’on l’imprime ! Nous descendons d’un gorille au nom latin ! Nom d’une pipelette ! Et nous ne doutons pas qu’il faut douter de tout.

Résultat : les petits Français macaquisés ont fait un bref galop de singe quand leurs officiers polytechniciens leur ont ouvert les vannes de la déroute. Le grand Architecte n’a pas fonctionné en faveur de ses fils.

Il fallait réparer tout ça, en juin 1940. C’est alors que l’autre équipe, la noire, cette secte intime en désaccord avec tout ce que l’Église représente de forces saines, montra tout à coup le bout de son mufle. Elle attendait son heure d’avant le père Combes, d’avant Mac-Mahon, d’avant 1789, d’avant Coligny, d’avant Galilée, d’avant le soleil. Ces faux chrétiens, qui font du christianisme à la glu, ces pharisiens que Jésus fouetterait jusqu’au sang corrompu, se sont rués avidement sur les bonnes places de l’enseignement avec un appétit de hyènes. Il s’agissait de ravauder leurs bondieuseries de 1880, de réinstaller le dogme enténébrée, de fonctionner en barrette à pompon, de théocratiser, déviriliser, désidéaliser, enfantdechœuriser, moinillonner, bétifier et d’instruire nos gosses, non pas selon Dieu, mais selon la théorie discutable d’une secte particulière de compilateurs théologues.

Et l’on nous dit : faites des enfants !

Pour les voir matriculer par ces « gangs » de rétrogrades, de plantigrades, de hauts grades et de dégradateurs !

Le monde est en proie aux convulsions des magiciens de toutes les obédiences.

Il faut que crève l’abcès des mécréances avant que nous puissions vivre, que s’écroulent les Maçonneries, les architectures tortueuses, les acharnements des sectes, avant que nous puissions poser la première pierre du monde de demain : l’enfant-roi.

Que disparaissent les néo-laïques dans leurs nuées, les Vichyssois intégristes dans leurs sacristies politiques, et les Juifs dans leur désert aurifié pour qu’une parcelle de la Vérité étincelle sur ce peuple !

Paul Riche

P.S.— je tiens à signaler spontanément que j’ai été induit en erreur au sujet de M. André Demaison — qui ne nous a pas écrit mais que nous savons être peinés d’avoir été attaqués injustement. Qu’il excuse cette balle égarée. Je ferai des reproches nécessaires à mon informateur.