Déblayage à la bombe !

Au Pilori, 19 juin 1941, signé Paul Riche

J’ai rencontré hier mon ami Loustolle, ingénieur distingué, inventeur d’un tas de machines assez extraordinaires, antisémite, antimaçon, antijésuite depuis longtemps (le bienheureux !), pas trop déprimé d’avoir traîné pendant des années les difficultés et déconvenues dans un monde où Worms et son subordonné le fonctionnaire général Paillasson de Pied-plats étaient rois.

Loustolle revient d’un camp de prisonniers où il fut enfermé après Dunkerque.

Pour avoir vu tant de choses il n’est pas trop méchant. Je le trouve singulièrement modéré depuis quelque temps.

Ce soir-là, il en voulait aux urbanistes du siècle dernier.

— Regardez-moi ce Paris (et sa voix de basse faisait courber l’échine aux youtres de café). Quelle ville sale ! C’est vieux, mal foutu, mal construit, plein de punaises, bourré de microbes, grouillant de tuberculose à tous les étages. Une salade de vieux moellons, de mauvais ciment, de poussière et de pipi. Un grand fumier qui cuit doucement au soleil. Un jour tout s’effondrera d’un seul coup, comme la République. C’est aussi vide et laid.  On devrait tout brûler : les maisons, les meubles qui sont dedans et les gens qui y habitent.

— Loustolle ! Là… vous exagérez !
— Comment ! J’exagère…

La conversation devenait impossible, le dénommé Loustolle commençant à engloutir démesurément du Français moyen.

Il est un fait incontestable que la France est en majorité d’un bout à l’autre d’une crasse répugnante : choses et gens. Le dehors révèle le dedans. La République a institué le pourri jusque dans les moindres détails de la vie sociale. Le nombre des communes sans eau est invraisemblable. Le taudis est encore roi dans les grandes villes. L’hygiène est inconnue dans les bas quartiers et sous les combles. Les grandes conceptions urbanistes y sont méprisées, parce que non lucratives. La propriété bâtie vie d’une exagération abominable du profit s’ingéniant à faire suer le plus d’argent possible aux prolétaires sans-abri. Il faudra en arriver à interdire l’usage du loyer : immeubles gratuits. Réparations obligatoires à la charge de l’occupant. Tout français devra avoir sa maison.

Autrefois, on construisait pour y habiter et s’y plaire. Aujourd’hui, on vend de la caserne au détail. On rafistole, on rabiboche, on ravaude, on replâtre de vieilles baraques croulantes, suintantes d’humidité, pleines de vermine et d’immondices. Boîtes à chlorose, fabriques d’époumonés. Quand on construit neuf, on entasse rapidement à bon marché des alvéoles minuscules de mauvais ciment et de cloisons de fibres jusqu’à n’en plus pouvoir agglomérer les étages, les trous et les recoins. Tout est calculé au millimètre. Torchis de boue et de bazar. On y crève l’été, on y gèle l’hiver. Mais ça paie. Il n’y a que du proprio juif là-dessous.

La civilisation, c’est du toc bourgeois et youdi, c’est du château vautour à la gloire du fric, de la bâtisse à bétail. Des troglodytes, voilà ce que nous sommes ! De pauvres petits fournicules aryens qui suons sang et eau pour entasser nos sept étages de petits malaises les uns sur les autres, sans confort, sans luxe, sans hardiesse, sans génie, des galériens qui ramons dur pour engraisser nos youtres et super-youtres.

À force de cracher sur les siècles royaux, on a fini par bouder l’architecture. À quoi bon bâtir ! On s’est autant dégoûté d’édifier la ville que de cultiver la campagne. Plus d’efforts ! La France tend rapidement à la cahute, très suffisante pour un peuple grandissant de pêcheurs à la ligne.

La France a lu trop de romans de Peaux-Rouges. Elle joue au Robinson.

Trop de romans de paysannerie crasse : le magot dans le matelas, les meubles couverts de chiure de mouches, la marmaille pas mouchée, le fumier devant la porte, les saouleries à l’auberge des saloperies à haute voix pour faire rougir le curé.

Trop de romans petit-bourgeois : la jolie mansarde pouilleuse, l’escalier pisseux, l’appartement sur la cour, le mobilier en pitchpin, la fringale d’amour sous les combles.

Trop de romans d’hôtels meublés : le lit en fer émaillé, le fauteuil troué, le lavabo dans la chambre, le mauvais papier à fleurs, le soupirail borgne, les romans fétides d’alcôve, la couverture pourrie, le carreau branlant par terre.

Trop de romans politiques, de consciences sales, des esprits tarés, de gâchis démagogiques, de compromissions maçonniques.

Jamais la République ne rendit un pays aussi pouilleux : mœurs et maisons.

Nos lecteurs diront que nous ne savons pas ce que nous voulons. Hier, nous pensions protéger le pays contre les bombes anglaises. Protégeons les monuments et les vies, d’accord, mais à bien considérer certains quartiers, on se dit qu’un peu de nettoyage ne ferait pas de mal. Nous pourrions-nous utiliser nous-mêmes nos stocks d’obus ?

Et, pour commencer, il y a un certain château de Bourassol dont l’installation rudimentaire et les habitants nous semblent totalement inutiles.

Nettoyage ! Nettoyage !

Et reconstruisons à neuf les consciences si nous voulons avoir des maisons saines.

Paul Riche