Ma mère n’a pas refait sa vie.
Elle m’a élevé selon les idées les plus hautes, mais elle est restée libre et n’a pas approché les amis de Christian Science. Elle m’a complètement laissé ma liberté de pensée.
Elle m’a aimé, m’a conduit, m’a dirigé.
Suis-je devenu un homme pur, intègre et fort ? Me suis-je discipliné intérieurement, Ai-je reflété la loi d’Amour ? Ce n’est pas à moi de le dire. Tout au plus, je peux le penser, quoique, dans mon for intérieur, je sais bien quelles ont été mes faiblesses secrètes.
Je n’ai pas connu mon père. J’avais deux mois quand il a été arrêté et mis en prison. Je n’avais pas cinq ans quand il a été condamné et fusillé. J’ai pourtant, encore aujourd’hui dans le fond de ma tête, une ou deux images furtives qui, pour moi, ne font aucun doute : je l’ai vu, au moins une ou deux fois, derrière les barreaux, dans la cage d’un parloir, mais je ne savais pas qui il était, je ne savais pas que c’était mon père… Je me revois monter avec ma mère un escalier carré… Si j’avais l’occasion d’aller visiter la prison de Fresnes et si cet escalier existe encore, je suis certain que je le reconnaitrai immédiatement… et que, d’un pas assuré, je me dirigerai vers le parloir, entrerai dans la quatrième cabine et que, de l’autre côté de la grille…
J’ai trouvé, dans une ou deux lettres de mon père, datées de 1946, quelques bribes de phrases qui confirment que j’ai bien été le voir à la prison, avec ma mère… et que j’ai dû être un peu turbulent… mais peut-on canaliser un mioche de deux ans qui fait une telle visite un dimanche de printemps ?
Mon père ne m’a pas reconnu, du moins officiellement. Les lois de l’époque ne le permettaient probablement pas. Mais il me connaissait et j’étais loin de lui être indifférent, pas seulement parce que j’étais le bébé de celle qu’il a appris à aimer, son bébé à lui… J’en veux pour preuve de nombreux passages de ses lettres à ma mère.
Je voudrais terminer par un dernier point : qu’est-ce que je pense aujourd’hui de mon père, de Jean Mamy, de Paul Riche, de celui dont j’ai écris un bout de biographie et dont je finalise ce site internet qui lui est consacré ?
Tout d’abord, en tant que fils, je n’ai pas à le juger. Ensuite, il n’a jamais eu la moindre influence directe sur ce que, au cours des soixante-quinze premières années de ma vie, j’ai pu penser ou faire.
Et bien, j’avoue que je suis perplexe. Fallait-il fusiller Jean Mamy en mars 1949 pour ce qu’on lui reprochait ?
Oui, il eut été compréhensible de l’abattre en 1943, en pleine guerre civile entre Français, quand les « fachos-collabos » faisaient la chasse aux « terroristes » communistes et quand les FFI et les « terros » assassinaient les « collabos ».
Oui, on aurait pu le faire taire définitivement quand il signait en première page du Pilori « Mort au Juif », même s’il n’en a ni tué, ni même probablement fait arrêter et déporter directement un seul.
Oui, on aurait pu aussi l’assassiner sommairement quand il s’est rendu en 1944 plutôt que de le faire trainer quatre ans en cellule. On aurait alors économisé un procès vengeur.
Mais je suis quand même perplexe car l’analyse objective que l’on peut faire du dossier et du procès de Jean Mamy, plusieurs dizaines d’années après les faits, avec la sérénité qui n’était probablement pas de mise dans les premières années de la Libération, où il s’agissait « d’épurer » la France, me laisse estimer que le « dossier Mamy » était bien mince. Rien sur ses écrits, sur son antisémitisme exacerbé et intolérable. Il aurait seulement contribué à pourchasser les communistes qui étaient alors interdits depuis 1939, considérés comme des traîtres manipulés par Moscou, comme des ennemis de la démocratie, comme des saboteurs, comme des terroristes, comme des réfractaires au STO, mais dont un grand nombre, si on exclut les quelques « vrais résistants », ont su se doter d’une « virginité héroïque » lorsque le cours des choses a changé, parfois grâce à des témoignages dont on peut douter de la sincérité.
Mais c’est la vie. À la fin de toutes les guerres, les vaincus ont toujours tort, ils étaient les méchants et les vainqueurs ont toujours raison, c’étaient eux les gentils.
Je suppose que mes propos peuvent faire scandale, qu’on va me classer parmi les odieux « révisionnistes », pourquoi pas même dans les « négationnistes » avec lesquels il est de bon ton de faire l’amalgame.
Comme la plupart des historiens (dont je ne suis pas, mais que je soutiens), je m’insurge contre tous ceux qui, après avoir falsifié l’Histoire à leur avantage, interdisent à quiconque d’y apporter un éclairage différent, souvent plus modéré. Pourquoi craignent-ils qu’on soulève le voile, qu’on rétablisse peut-être un équilibre biaisé ?
Pour moi, soulever les dessous de l’Histoire relève de la nature humaine la plus naturelle, la curiosité, la recherche des vérités, l’interprétation des faits et de leur enchainement… C’est la base de la méthode scientifique. À l’inverse, ceux qui en interdisent toute « révision 1] », jusqu’à faire promulguer des lois qui rendent illégale tout propos qui diffère de la version officielle, y voient probablement de la pornographie, de l’atteinte à la pudeur ou aux bonnes mœurs. Ce sont pour moi des dictateurs intégristes, des ayatollahs, des Talibans de la Vérité. Ont-ils quelque chose de caché à se reprocher ? La Loi Gayssot ne serait-elle pas une burqa dont les communistes ont habillé l’Histoire contemporaine, en en cadenassant légalement, et probablement définitivement, les boutonnières, pour éviter qu’on ne découvre trop vite les horreurs de certains, leurs comportements, les réalités de leurs crimes et de leurs mensonges ?
En 1940, certains de nos pères ont eu à choisir entre composer avec la réalité de l’invasion hitlérienne et sa démarche national-socialiste ou attendre la déferlante bolchévique stalinienne qui se propageait à l’Est. La majorité, active ou silencieuse a opté au début, avec plus ou moins d’engagement, pour la solution docile de la Collaboration, y compris les communistes français qui n’ont pas bougé le petit doigt contre l’occupant allemand tant que le pacte germano-soviétique était en vigueur. D’autres Français, non soumis aux ordres de Moscou, en plus petit nombre, ont refusé la défaite et, sur le sol français, dans nos colonies, parfois exilés à Londres, ont contribué au succès des armées alliées qui ont fini par vaincre les Allemands quand les Américains l’ont décidé.
Nombreux sont ceux qui ont « changé leur fusil d’épaule » quand le vent a tourné. On les appelle « les résistants de la dernière heure ». Mon père avait choisi son camp. Il n’a pas changé un seul iota de ses idées. Il écrivait le 11 mai 1945 à ma mère :
[…] Pour moi, j’attends toujours, dans la lumière de la certitude et la foi de la confiance, le jour où, éclatant de vérité, on s’apercevra que toute la haine qu’on s’est jetée à la figure de tous les côtés était néant, et s’il faut pour cela patienter, nous patienterons. S’il faut hurler, nous hurlerons. S’il faut se taire, nous ne dirons mot et s’il faut dire que nous avons eu tort d’être violent, nous le dirons, et s’il faut affirmer, contre vents et marées, que nous avons eu raison d’être prévoyant, nous l’affirmerons quelles que soient les conséquences. À Dieu va ! Je me fous de toutes les conséquences possibles de mes actes, si je suis dans la vérité, et si j’agis consciemment avec la loi que je crois être la plus haute et qui se vérifie. Pour le reste, que les hommes fassent ce qu’ils veulent. Ils ne peuvent rien. […]
Il en est mort ! Il y a 72 ans aujourd’hui.
Frédéric-Georges Roux
29 mars 2021
[1] Le mot « révision » n’est pas un gros mot. Il s’agit tout simplement d’une nouvelle « lecture » de l’Histoire, sous un éclairage différent de celui qu’impose la pensée unique. J’ai passé l’essentiel de ma scolarité à faire des « révisions » de mes cours en vue des examens qui consistaient évidemment à lire et relire exactement la même chose que ce qu’on m’avait enseigné sans surtout y changer quoique ce soit, ni sur le fond, ni sur la forme.