JM à JR (Fresnes 49/03/20)

 

Dimanche 20 mars 1949

Ma chérie,

Comme tu le sais, j’ai vu Leroy hier matin. Il est convoqué mardi. Étant donné la précipitation de l’affaire Prévost, nous avions hier mauvaise impression. Veut-on me faire le même coup cette semaine ? A bien réfléchir, nous nous sommes rassurés. Il n’y a pas de précipitation. Les dossiers ont repris leur cours normal : 3 mois. Donc je suis dans la norme.

J’ai reçu ta lettre de vendredi qui m’encourage et un pneu de ma mère ce matin qui est également optimiste. Leroy avait l’air tranquille. Il a bon espoir. Il ne sait rien de la décision de la commission des grâces. Mais… attendons.

Pourra-t-il me renseigner mieux mercredi après sa visite au Président. Je crois que les huit jours qui suivent seront difficiles à attendre, à moins que par bonté d’âme tu me tranquillises absolument.

Ce n’est pas que je ne sois pas tranquille, mais j’ai trop vécu pour ne pas vouloir m’aveugler d’illusions. Je veux voir les choses en face. Je sais bien que mon affaire se présente d’une façon tout à fait particulière. Elle ne ressemble à aucune autre. Depuis hier matin, je rumine avec quelques soubresauts vite réprimés. Le soldat qui est au front arrive à maîtriser ses nerfs avec indifférence. Il frôle constamment la mort sans se soucier. Moi, les bombardements m’embêtaient, mais c’est tout. Là, l’atmosphère est différente. On est comme un enfant qui voudrait connaître l’avenir de la prochaine quinzaine. Une fois qu’on le sait, on se prépare. Mais tourner en rond pendant douze jours dans une cellule pour deviner si on va ouvrir votre porte un matin à 6h, ou si on ne l’ouvre pas, c’est long. Enfin ! On aura vu beaucoup de choses.

J’ai relu toutes tes lettres depuis trois mois. Elles sont affirmatives. Que de peine tu prends pour me persuader que tout va bien. Je veux bien te croire. Et puis j’ouvre ma Bible et je trouve les choses les plus belles du monde sur la sérénité, la confiance absolue, le calme dans l’épreuve. On ne croit plus au mal. Quelle foi ! Quelle clarté ! Quelle compréhension ne faut-il pas ?

Je ne veux pas t’en dire trop ce soir. Les idées doivent se reposer un peu. J’espère avoir de toi des nouvelles précises le plus souvent possible, pour connaître exactement l’atmosphère, et on doit arriver à prévoir juste ce qui va se passer.

De mon côté je travaille. Je fais tout ce qu’il faut pour être à la hauteur de la situation. Il faut bien que les épreuves servent à quelque chose. Au moins à nous purifier. Il me semble que je vais entrer dans un cycle totalement nouveau, que tout est rompu derrière moi. Les vieilles choses s’en vont. J’ai accompli ce que je croyais devoir faire jusqu’à un certain point. Et puis nous allons repartir dans une expérience si belle, si fructueuse… Déjà des tas de projets. Réalisables. Et combien plus intéressants que la politique.

A bientôt te lire. Je t’embrasse ma chérie, avec toute ma tendresse. Embrasse le Frédéric comme un ange. Mes gros baisers.

J.