Samedi 15 janvier 1949
Mon chéri,
Frédéric dort depuis un moment déjà. Je suis toute seule, ce soir à la maison. Je m’ennuie affreusement de toi.
Et voilà ! Je n’ai pas d’autre chose à te dire. Tant pis pour toi. Tant pis pour toi qui te moqueras de moi sans même t’attendrir sur mon sort. « Nous ne sommes pas des sentimentaux, nous autres, mais des politiques ». Mais nous qui sommes des sentimentales, nous allons essayer —pour vous faire plaisir— de nous intéresser à votre politique, et nous allons crier si fort que vous avez raison, que personne n’en doutera plus, pas même nous.
J’ai reçu ce matin ta lettre du 12, qui s’est croisée avec celle que je t’ai écrite le 13. Tu me demandes de t’écrire, de t’écrire, de t’écrire. Mon chéri, je voudrais t’écrire tous les jours, mais je voudrais surtout avoir de bonnes nouvelles à t’annoncer, des choses intéressantes à te communiquer, des précisions à te fournir. Et pour l’instant, tout est encore bien vague… Je voudrais être la première à t’annoncer que tu es gracié, puis que ta peine est réduite à 20 ans, puis à 10, puis que tu es en liberté conditionnelle, et puis que tu es tout à fait libre et que cette histoire est complètement oubliée. Car il faut me promettre, toi aussi de l’oublier. Je n’aurai pas davantage de plaisir à t’entendre t’en repentir (je n’ai pas à craindre çà, qu’à t’entendre t’en vanter (là ce sera plus difficile. L’effort que je te demande est peut-être un peu grand. A moins que tu ne cherches vraiment qu’à me faire plaisir…).
Ton ami Géranton m’a téléphoné ce soir. Il est charmant. Sa femme aussi. Ils ont une fillette de trois ans très mignonne. Il t’aime beaucoup et te connaît bien et c’est pour cela que ses visites à Leroy me paraissent des plus utiles. Je veux que Leroy oublie complètement le personnage imaginé par Mr Agnès, pour ne plus voir en toi que toutes les qualités que nous te connaissons. Alors, à son tour, il les criera là où il faut. Je sais d’ailleurs que tu lui es fort sympathique, et plus encore, peut-être, à sa femme. (Pour l’instant, je ne dis rien mais, sous peu, j’ouvrirai l’œil). Géranton m’a promis de t’écrire ce soir. Il s’inquiétait de savoir si tu recevais toujours les visites de la science.
J’ai remis cette semaine 6 plaidoiries à Leroy. Je lui en avais remis 3 une 1ère fois. Il m’a dit que c’était suffisant pour l’instant. Je suis à sa disposition pour en taper d’autres si besoin est. Quant à la note, c’était seulement un projet. Quand il s’agira du Recours, j’en ferai autant qu’il m’en demandera.
Dis-moi un peu comment tu te débrouilles et comment tu es « logé ». As-tu récupéré ta peau de mouton ? N’es-tu pas trop mal installé et n’as-tu pas froid ? Il est vrai que ces questions sont bien inutiles, si je ne peux, hélas, y remédier.
J’ai bien fait de t’écrire longuement ce soir.
JR
P.S. Il me semble que je m’ennuie déjà beaucoup moins. Je ne m’ennuie plus du tout. Bonsoir, Chéri. Gros baisers