Lundi 21 Mars 1949
(soir)
Mon chéri,
Comme je te le disais dans le pneu que je t’ai griffonné tout à l’heure dans le métro, je n’ai pas attendu d’avoir, par Me Leroy, la confirmation qu’il n’irait pas à l’Élysée mardi pour te faire part du communiqué annonçant le report des audiences et visites du Président.
Me Leroy, que j’ai eu tout à l’heure au téléphone, m’a dit qu’il serait convoqué pour jeudi ; qu’il t’en avait avisé par pneu dès ce matin ; et qu’il t’avait en même temps prévenu qu’il n’irait te voir que vendredi (les visites d’avocat n’étant pas autorisées le jeudi). Il ne faut donc pas compter qu’une décision soit prise avant la semaine prochaine. Tant-pis ! Nous attendrons le dimanche suivant pour crier victoire.
Je crois de plus en plus à la grâce.
J’ai reçu, ce matin, ta lettre de Vendredi. J’ai eu la même idée que toi : quand —ayant appris par les journaux l’exécution de vendredi— j’ai su ensuite, par Me Leroy, qu’il était convoqué Mardi à la Présidence, je me suis dit qu’étant donné que le rejet des pourvois avait été annoncé en même temps pour vous trois (P. Ga. et toi) il n’y avait vraiment aucune raison pour que les décisions —si elles devaient être identiques— soient prises à quelques jours d’intervalle.
Et cela a renforcé encore la conviction que j’ai que tu seras gracié.
J’ai lu avec beaucoup de plaisir « j’avoue que si on me graciait, cela me semblerait un de ces événements heureux, extraordinaires… »
Je te comprends tellement mieux quand tu parles comme ça.
J’ai lu, avec plaisir aussi tout le bien que tu penses de notre rencontre (attends-toi à ce que je te le rappelle souvent lorsque tu seras redevenu le vilain Monsieur qui me traitait négligemment, me mettait à la porte sous prétexte d’un « travail urgent à terminer » ou même sans prétexte du tout, se désintéressait complètement de moi, et ne me prenait pas du tout au sérieux).
Heureusement que j’avais tout prévu. Je savais bien, moi, que nous étions faits pour nous entendre.
Je t’embrasse. Mon chéri. Bonsoir. Dors bien.
JR
Quand je dis « Me L. sera convoqué pour jeudi », je me trompe peut-être. Je crois plutôt qu’il lui a été indiqué ce matin par téléphone : « qu’il serait re-convoqué jeudi » ce qui voudrait dire, peut-être, que jeudi, on lui enverrait une convocation pour un autre jour. On te tiendra très exactement au courant.