Jeudi 24 Mars 1949
Mon chéri,
Au reçu de ma lettre, tu auras vu, demain vendredi, Me Leroy, et tu connaîtras tous les détails de l’entrevue d’aujourd’hui. L’impression est bonne, et la démarche faite me parait des plus importantes. J’ai hâte d’être à la semaine prochaine.
Ce n’est pas seulement par intuition personnelle que j’ai bon espoir. J’ai une certitude au moins. Pour le reste, je ne sais pas. C’est impénétrable. D’ailleurs, on m’a précisé que —même si on avait connaissance de tous les avis—, on ne pourrait prévoir exactement la décision, car elle dépend, en définitive du Président et elle ne correspond pas toujours à ce qu’on prévoyait d’après les pourcentages favorables ou défavorables.
Mais il me semble que la réception d’aujourd’hui permet beaucoup d’espoir. Géranton me disait ce soir que nombreux avocats de ses amis avaient tout de suite deviné, d’après l’accueil du Président, que leur client ne s’en tirerait pas. L’impression que Leroy a retirée de la visite, me parait toute différente. Et je suis sûre qu’il ne me raconte pas d’histoires. Si tu es un grand garçon à qui on peut tout dire, moi, je suis une grande fille qui peut, aussi, tout entendre. (sauf les bêtises que tu me dis dans ta lettre d’hier : « grâce ou exécution, c’est tout un —la vie qui n’est pas la vie… ». Pour moi, une seule chose compte : c’est que tu ne reçoives pas douze balles dans la peau et que je revois bientôt le bout de ton nez).
Et plus la décision approche, plus j’ai confiance. Il y a dans ton dossier des éléments qui peuvent justifier une grâce : on a beaucoup appuyé sur les rapports d’experts ; et puis il y a cette absence d’argent, et cet oiseau de mauvais augure que tu as suivi, les yeux fermés, et ton attitude à l’audience.
Leroy a été adroit d’insister aujourd’hui sur les deux enfants qu’une exécution punirait davantage que toi. Je suis très contente que ce soit lui qui ait eu à faire cette délicate démarche. Il me semble qu’il est tout à fait l’homme qu’il faut pour attendrir celui qui a à prendre une si grave décision. De plus, depuis le mois de décembre, il te connaît de mieux en mieux, et il aura pu te faire non seulement pardonner, mais j’en suis sûre, apprécier, car il t’aime beaucoup et te comprend bien.
Vite la semaine prochaine. Promets-moi de m’écrire des lettres rien que pour moi, où tu ne me parleras plus de cette méchante affaire. Pendant quelques temps, nous nous reposerons (en attendant de travailler activement à ta libération complète) et nous ne ferons que des projets d’avenir, ou nous parlerons d’avant 44, d’avant 40, même, si tu veux. Tu te souviens du premier chocolat que tu m’as servi un matin ? (Ça n’a pas duré d’ailleurs. Tu me l’avais promis pour me tenter et me faire rester avec toi. Après, tu me mettais à la porte sans te préoccuper de mon petit déjeuner).
Je voudrais bien te servir un chocolat tous les matins. Je t’embrasse très tendrement.
JR