JR à JM (49/03/25)

Vendredi 25 Mars 1949

Mon chéri,

Ce soir, vraiment, je ne sais plus quoi t’écrire. On a beau avoir grande confiance, on a beau avoir des précisions qui permettent d’espérer beaucoup, on a beau croire de plus en plus au succès final, on est terriblement impressionnée. On hésite à t’écrire —de peur que ces pauvres mots qui ne peuvent pas t’apporter une certitude absolue— ne te soient pas d’un grand secours.

On n’ose pas ne t’envoyer que ce que contient notre cœur. On voudrait faire tellement plus. Mais on l’ouvre tout grand pour toi et si tu veux bien y puiser, tu y trouveras peut-être quand même du bonheur, car il en est rempli.

Et puis, d’ici que ma lettre te parvienne, il est possible que tu aies reçu, déjà, une bonne nouvelle (car Leroy ne manquera pas de t’aviser aussitôt). Je redoute presque autant cette annonce qui me bouleversera de joie. Tu connais mes réactions quand mon bonheur est trop grand. Je vais sûrement, moi qui n’ai pas pleuré à la lecture du verdict, fondre en larmes comme une petite sotte.

Car de plus en plus, je crois à ta grâce.

J’en parlais avec Me Leroy ce soir. Il y a beaucoup d’espoir. Il m’a donné de tes bonnes nouvelles, m’a dit combien tu es calme. (Je m’en doute bien que tu es calme. Je sais bien que tu t’efforces —ou que tu es tout naturellement— détaché des choses d’ici-bas— Je ne dis trop rien cette semaine. Mais, après, je vais m’employer à ce que tu reprennes goût à la vie. Je ne suis pas du tout décidée à vivre avec quelqu’un qui dédaigne à ce point la vie terrestre).

J’ai reçu une adorable lettre du pasteur. Il m’inonde de bonnes paroles. Il m’assure que j’ai la Foi. Il prie pour toi et pour moi. Il est affectueux au possible. Je l’aime beaucoup parce qu’il est la bonté même.

Ne t’étonne pas d’avoir, au début de la semaine prochaine, un retard dans le courrier. On annonce une petite grève des facteurs pour lundi matin —pour la première levée au moins.

Je crois qu’il ne faut pas attendre de décision avant mardi prochain.

Nous allons tâcher de ne pas nous impatienter. Nous sommes, en tous cas, absolument tranquilles. Je t’assure que je passe des nuits excellentes. Je ne dormirais certes pas de la nuit si j’avais un doute. Non, je t’assure, je suis tranquille. Et la conversation téléphonique que Leroy a eue ce matin est, elle aussi, rassurante.

Je t’embrasse de toutes mes forces.

JR

Et Frédéric t’envoie un gros et pur baiser. Je téléphone chaque soir  ta mère. Elle va très bien.