Mardi 14 septembre 1948
Ma chérie, toute chérie [1], J’espère que tu as fini de travailler à cette chose si importante et passionnante. Je me réjouis de l’intérêt que tu y auras pris. Bien plus. Je sais que dès cette profonde cogitation assimilée tu auras sur l’avenir des idées plus larges. L’horizon s’éclaire quand la vue nette de l’homme précise les obstacles ou les idées. Nous autres enchaînés, qui sommes les plus libres du monde, nous avons la chance d’être dans la meilleure position mentale possible pour attaquer toutes les erreurs de la terre. Celui qui est dos au mur ne peut plus reculer. Il faut qu’il pénètre le ciel qui gicle de partout.
J’espère un mot de toi demain. L’affaire ? Je ne m’en préoccupe guère. Il ne me semble pas qu’on puisse prendre des décisions avant les élections. Trop tard maintenant. Si ces élections avaient du se faire sous logique de répression, notre semaine aurait été sanglante. Bien au contraire, il semble que nous soyons placés sous le signe plus favorable de la détente. Par contraire, les évènements internationaux se durcissent. Nous sommes à la veille d’une tension plus grande qui peut aller très loin, étant donné que les intérêts en jeu ne prévoient pas de ménagements possibles entre les deux adversaires. Ne nous inquiétons pas non plus de ce côté-là. Nous passerons à travers tout.
J’ai envoyé à Leroy il y a trois jours un papier qu’il te communiquera. Il vaut mieux prendre toutes précautions. Comme ça, les intérêts sont sauvegardés et précisés. S’il faut rédiger la chose autrement fais le moi dire.
À l’encontre de ce que je pensais, ma mère ne peut rien faire pour le supplément d’honoraires. Je cherche dans ma tête ce que je pourrais faire. Mais il m’est difficile d’opérer là où je suis. Je vais voir comment résoudre le problème. Je te ferai part de ce que j’ai trouvé.
Le travail va bien. Je n’ai pas encore pensé au scénario. Trop d’autres choses. Très importantes. Veux-tu surtout d’occuper d’EdR pour récupérer et m’envoyer par Leroy le rapport sur la Cuve avec une note (non tapée mais fais un exemplaire) sur les baraques de la médaille. Tu dois trouver tout ça dans la note verte rendue. C’est un manuscrit sur papier troué. Je compte absolument dessus pour présenter quelque chose de complet. Urgent. Je suis en train de compléter le tout.
Mes études sur le Zen vont bien. Pour l’instant je suis pourvu de tout. Sauf en lettres de Jeannette dont j’espère les débordements littéraires fertilisants tels les crues du Nil, tels les humeurs du Fleuve Jaune, tels les riches gonflements de l’Amazone. Les grands cœurs sont fluides, fluviaux, puissants, nourris de suc à l’infini. Le « fleuve de vie [2] » de l’Apocalypse.
On t’embrasse comme une brioche de saveur, précieuse vertu, douce fidèle. Géranton qui m’écrit aujourd’hui ne cesse encore de m’envoyer sur toi quelques superlatifs. Peine perdue. Je sais très bien ce que je dois penser. Je suis assez dégourdi pour juger. J’ai bien vu à qui j’avais à faire. On ne me trompe pas sur la qualité. J’ai soupesé. L’or pur et le reste. Et il n’y a pas de reste.
Donc on t’embrasse. Et l’on te complimente pour ta patience. Et l’on t’assure de la nôtre. Et l’on va tenir jusqu’au bout pour vaincre, se délivrer des tous ennemis.
Mes gros baisers.
J.
[1] Erreur probable de date, il semble que cette lettre ait été écrite le 19 et non le 14. En effet la lettre hebdomadaire précédente est du 12 et la suivante du 26.
[2] L’expression « fleuve de vie » n’apparaît pas dans la Bible, mais Apocalypse parle du « fleuve d’eau de la vie, limpide comme du cristal, qui sortait du trône de Dieu et de l’Agneau. » L’Apôtre Jean, dans sa vision de la nouvelle Jérusalem, dit que ce fleuve coule « au milieu de la grande rue de la ville ». Le fleuve d’eau de la vie décrit en Apocalypse 22 est très certainement une représentation symbolique de la vie éternelle que Dieu donne gratuitement à tous ceux qui croient en Christ