Dimanche 23 janvier 1949
Ma petite Jeannette chérie,
J’ai vu tout à l’heure le pasteur qui me rapporte votre conversation. Il parait que tu te fais du souci parce que le Ministère de la J. tâcherait de précipiter l’affaire (c’est ce qu’il m’a dit. D’où le tiens-tu ?). J’espère voir Leroy pour vérification.
Il est évident que si c’est cela, il n’y a aucune illusion à se faire sur la décision (ou tout au moins sur la volonté de certaines gens d’emporter la décision). Je ne vois exactement qui peut insister à ce point (est-ce politique ? personnel ? On verra).
Fais ce que tu peux. Moi, de mon côté, je ne peux qu’offrir aux coups le moral le plus placide. La vie n’a d’intérêt que vécue très haut, en dehors des combats humains.
Tu me renseigneras vite, car je suis en train de mettre au point pas mal de petites choses. Il faudra donc prendre toutes dispositions utiles (cela n’engage à rien, mais on peut être prêt).
Note que je me laisse pas du tout atteindre par le désespoir. Il y a longtemps que la vie humaine ne m’offrait plus de côtés riants (en ai-je même jamais connu beaucoup ?). Tu étais, tu es, le seul lien qui me rattache encore à ce plan (ma mère aussi —mais pour d’autres raisons— Admettons que les amis qui me sont chers et certaine cause m’agréent encore un peu. C’est toutefois plus lointain). Je crois que, à travers toutes les expériences (même la mort —qui n’existe pas du tout— la vie ne comporte pas d’arrêt) nous devons atteindre le calme parfait de la conscience absolue. Les hommes et les femmes sont comparables à des feuilles mortes que le vent emporte d’un coup. Pour durer, il faut monter jusqu’à la conception de l’Être éternel. Et plus vite nous nous détachons de la terre, plus vite nous gagnons la tranquillité divine. Je te dis tout cela pour te consoler. Je suis persuadé que tes efforts aboutiront, mais, pour te montrer que je suis prêt à passer par toutes les épreuves. Tu es la plus dévouée, la plus gentille des compagnes. Nous ferons encore sur cette terre de nombreux pas ensemble. Grâce à toi.
Je ne t’écris pas plus ce soir. J’attends les nouvelles. Donc mille baisers. Tu sais combien je t’aime. Tu ne manqueras jamais d’amour. Le Christ a dit : « Voici que je suis avec vous jusqu’à la fin des siècles ». C’est vrai. Moi, ce soir, je suis tout plein de cet amour-là.
Mes gros baisers, chérie.
J.