Vendredi 11 février 1949
Ma chérie,
Je reçois ce soir ta lettre de mercredi concernant l’affaire suisse. Cette affaire est minime. Elle ne peut prêter à aucun développement. Bien au contraire, si la chancellerie veut en attendre sa conclusion, on y trouvera peut-être des arguments de détente, d’autant plus que, ne pouvant me défendre moi-même là-bas, comme je l’ai demandé, j’exigerai qu’on me laisse déposer une note pour mettre au point toutes choses. C’est une affaire dans laquelle je dois normalement être acquitté, mais par contumace, on ne sait jamais. J’écris à Leroy là-dessus.
En tous cas, tu aurais tort de t’inquiéter. A mon avis, cela ne peut rien changer à la décision. Cela ne pourrait que la retarder. J’ignore la publicité qui est faite là-dessus, mais tu sais que chaque fois que mes adversaires ont voulu m’enfoncer, en fait, ils ont travaillé pour moi, sans que je lève le petit doigt. Attendons donc patiemment. Je suis sûr du bien fondé de ma cause. Et de plus en plus. Ne nous préoccupons pas de l’opinion publique, des on-dit, etc… Aucune importance. Continue ton travail tranquillement. Pas de crainte.
Merci infiniment pour tout ce que tu fais. J’ai bien reçu les 1000 frs dont je te remercie. J’ai vu hier le pasteur qui m’a donné de tes bonnes nouvelles. Il est allé à la Présidence de la République. Il a touché un mot de mon affaire entre autres. J’ai l’impression qu’il me juge un peu fou. Il n’est peut-être pas le seul. Je vais finir par croire que les psychiatres ont raison. As-tu vu Leroy ? T’a-t-il communiqué mes desiderata ? Dis-moi où tu en es. Quand vient-il me voir ? Ton avant dernière lettre m’a fait très plaisir. Je crois que tu es dans la vérité quand tu rapportes les propos qu’on tient sur l’affaire. De plus en plus tu verras qu’elle apparaîtra moins grosse qu’on le dit. Je sais bien, moi, ce qu’elle contient. Et ce que j’ai fait. On ne peut me reprocher que des violences d’idées, et des actes de police, mais rien de chrétiennement déshonorant. Pour ce qui est de la politique, c’est affaire d’opinion.
Dis-toi toujours une chose quand tu défends mon dossier. C’est que les actes des idéologues, qui sont quelquefois des actes de guerre civile, sont toujours motivés par de très hautes considérations. Le bien public est le seul souci du militant, même s’il se trompe lourdement. Il n’y a pas trace chez moi d’intérêt personnel. Je crois que cela seul peut, sinon atténuer, du moins expliquer le fanatisme de bien des actes qui me sont reprochés, mais aussi peut faire considérer le problème sous un autre angle que celui de la basse trahison (ne jamais convenir de mot à mon sujet —c’est absolument faux— Réfuter cette erreur violemment).
Voilà petite ligne de conduite. Je n’ai pas besoin de t’en dire trop. Tu sais bien toi-même ce qu’il faut dire. Passons aux tendresses tranquilles. Sois certaine que nos efforts aboutiront. Il le faut, pour démontrer que l’honnêteté dans le combat paie quelquefois. Je ne crois pas que ma tâche sur ce plan terrestres soit déjà terminée.
Les événements tournent vite. Bonnes nouvelles de tous côtés.
Mes gros baisers.
J.