Mercredi 26 janvier 1949
Mon chéri,
Je reçois ce matin ta lettre de dimanche et je suis toute surprise de l’inquiétude que tu me prêtes quant à une précipitation du dossier. Au contraire, je suis de ce côté, tout à fait tranquille. Je t’ai d’ailleurs écrit une longue lettre dimanche, qui a dû te rassurer. Et encore, je ne veux pas trop t’en dire… Mais si je pouvais me glisser près de toi, fermer la porte aux curieux, prendre ta tête dans mes deux mains, et laisser plonger ton regard dans mes yeux, tu y lirais tout de suite que tout va très bien et que j’ai les plus grandes raisons de n’avoir aucune crainte.
Je vois d’où vient la confusion : étant donné le prochain départ du Monsieur, à l’occasion duquel il a l’intention de faire une demande d’ensemble —dans laquelle seront inclus des cas qui lui paraissent plus légers que le tien, mais que je crois, moi (et de bonne source) plus graves— j’ai pensé qu’une demande individuelle aurait plus de poids, et, égoïstement, j’ai souhaité qu’elle précède l’autre (car, je le répète, j’ai l’impression que certains cas peuvent faire du tort à l’ensemble en diminuant la valeur de l’intervention). Et c’est seulement pourquoi j’ai pu paraître pressée. Mais de ce côté-là seulement (Il verra Leroy vendredi). Et cela ne fera pas avancer le reste d’un pas.
Personne, sois-en sûr, ne cherche à précipiter ton dossier. Je voudrais bien voir çà, moi, qu’on précipite ton dossier ! Ah ! Mais ! Douterais-tu de ma puissance, par hasard ? Je t’ai toujours dit que je réservais mes gros atouts pour la fin. On y arrive. Je les jette sur le tapis. Et on gagne la partie. Aujourd’hui, par exemple, aujourd’hui même, c’est un as, un as des as [1], que j’abats sur le tapis. Un as, c’est très fort, n’est-ce pas ? C’est plus fort qu’un roi, alors, raison de plus…
Veux-tu bien vite m’écrire une lettre toute gentille et toute tranquille, et me parler de toute autre chose que de « mise au point de pas mal de petites choses » et de « dispositions à prendre ». Doucement, doucement, rien ne presse. Embrassez-moi, Monsieur. Et ne pensons à rien. Tu veux bien ?
Pourquoi, le 24 décembre, ne t’es-tu pas dissimulé dans un petit coin de la Xème ? Tu aurais pu, un mois après, jour pour jour, assister —cette fois en spectateur— à un procès retentissant. Voilà de quoi vous distraire, Messieurs les acharnés communistes ou anti-communistes. Quel remue-ménage pour un petit bout de livre de rien du tout. Et quel déploiement de forces policières ! On ne peut même plus passer l’escalier sans montrer patte blanche… ou patte rouge.
J’arrête là ma lettre, Mon chéri, parce que je veux la poster ce soir, et je dois me dépêcher. Sois tout à fait tranquille. Ne t’inquiète pas. Je veille et je suis toute calme. Tu vois bien que c’est vrai. Je ne suis pas devenue folle et je n’aurais pas le cœur à parler sur un ton aussi badin si j’avais des doutes. Je suis sûre, moi, que tout cela va s’arranger. Je m’y emploie de mon mieux et je suis bien aidée par de fidèles amis. En tous cas, ce qui est certain déjà, c’est que rien n’a bougé depuis dix jours, et ça, j’en suis sûre.
Je t’embrasse, Mon chéri. Écris-moi vite.
JR
[1] Allusion à son ami le colonel René Fonck, (« l’aviateur »), as des as aux 75 victoires homologuées en 14-18 (note de FGR)