Dimanche 2 janvier : « J’ai vu Leroy cet après-midi. Très calmé, objectif, ayant déjà réfléchi un peu à tout, voyant les choses prudemment (il a raison) sans enthousiasme (c’est plus sûr), mais calculant les chances […] Je ne suis pas du tout d’accord pour me laisser égorger vif par des excités. Je refuse ce jugement comme étant partisan. Tous les témoins ont menti par un bout. . »
Dimanche 9 janvier : « J’ai lu cette semaine […] un mauvais Gide : la Symphonie Pastorale (je déteste de plus en plus cet hypocrite —ce fielleux— grand styliste, mais homme vicieux, pervers, faux —qui ne se mêle que de détruire avec une habileté de sadique. Gide m’est de plus en plus exécrable pour avoir pourri délibérément toute une jeunesse consentante au meilleur et qui n’a trouvé que ce guide souillé de lui-même. Je crois qu’il faudra exécuter un jour le personnage avec vigueur —reprendre toute son œuvre, analyser l’homme comme on dissèque un cadavre, et montrer le pus). »
Mercredi 12 janvier : « J’ai vu Leroy aujourd’hui. Bonne conversation. Il m’a remis la note et sa plaidoirie. Il va préparer le recours. »
Dimanche 16 janvier : « Comme tu dois le savoir (je l’ai appris par les journaux) le pourvoi en cassation est rejeté. J’attends qu’on me le signifie, ou que l’on en prévienne Leroy.»
Dimanche 23 janvier : « Il parait que tu te fais du souci parce que le Ministère de la J. tâcherait de précipiter l’affaire […] Il est évident que si c’est cela, il n’y a aucune illusion à se faire sur la décision (ou tout au moins sur la volonté de certaines gens d’emporter la décision). »
Mercredi 26 janvier : « Si tu savais (si mes adversaires savaient !) combien tous les événements terrestres apparaissent petits, d’une cellule de condamné […] Je pense comme toi que nous serons très heureux et que nous vivrons de longs jours la main dans la main »
Vendredi 28 janvier : « Je sais qu’au Ministère de la Justice, on considère le dossier comme très noir, mais je crois que la personne qui a donné le tuyau tient ses renseignements de mes propres témoins à charge. »
Jeudi 3 février : « Je crois que depuis quatre ans tu as eu la valeur d’un bon volume de lettres d’amour. Je ne pense pas maintenant que tu sois inquiète sur la profondeur et la grandeur, et la qualité, et la solidité de mon sentiment pour toi. »
Lundi 7 février : « Le gosse est magnifique. Il a l’air bougrement intelligent (il tient ça de sa mère), et très décidé. Et blond (son père, probablement), les yeux très vifs (sa mère), un côté bouillant (son père) de bonne humeur (son père et sa mère) aimant la bicyclette (sans aucun doute son père). »
Vendredi 11 février : « quand tu défends mon dossier. […] les actes des idéologues, qui sont quelquefois des actes de guerre civile, sont toujours motivés par de très hautes considérations. Le bien public est le seul souci du militant, même s’il se trompe lourdement. Il n’y a pas trace chez moi d’intérêt personnel. »
Mardi 15 février : « Leroy avait l’air très épaté qu’on ne soit pas ému par une condamnation. C’est que les gens ont si peu l’habitude de réfléchir aux conditions de la vie mortelle. Si quelquefois on me fusille, je serai tellement prêt, et j’aurai pris tant de précautions pour tout laisser en ordre, que j’aurai sans doute l’impression de prendre un train. »
Vendredi 18 février : « Je voulais t’écrire longuement ce soir. Et je tombe de sommeil. Et j’ai froid. Tu as été sacrifiée à un tas de pages d’écriture qui te donneront un jour beaucoup de travail. »
Lundi 21 février : « Parlons plus sérieusement : je t’embrasse […] non pour le geste qui n’est que manifestation extérieure, mais par le contenu du geste qui est joie à donner. A donner à qui je veux, qui j’ai choisi, qui j’estime, qui je regarde avec plaisir, qui j’aime. »
Samedi 26 février : « J’ai vu Leroy hier matin […] Il vient « me changer les idées ». Il faudra que je l’habitue à penser que j’ai trouvé ici le bonheur parfait […] l’esprit dans lequel nous surmontons l’épreuve nous oblige à démontrer la sérénité, l’absence de douleur et de crainte, »
Mercredi 2 mars : Cette lettre, datée du 3/2/49, est probablement du 2/3/49 ou du 3/3/49 ; en effet il existe une autre lettre datée du 3/2/49 avec l’entête « CM » (Condamné à Mort) alors que le manuscrit de celle-ci porte le code « HS » (Haute Sécurité) qui n’apparaît qu’à partir du 26/2/49 ; la réponse de Jeanne Roux, en date du 5/3/49 semble confirmer cette hypothèse
Vendredi 4 mars : « J’ai vu Leroy tout à l’heure […] Pour ses honoraires, il demande 30. Si tu peux lui en donner 10 ou 15 fais le. J’écris à ma mère pour le reste […] Je crois en effet que c’est utile. Il dépense son temps. Il mettra aussi plus d’ardeur à réussir (quoiqu’il soit parfait, désintéressé, amical. Je ne pouvais trouver meilleur défenseur). »
Mercredi 9 mars : « nous allons maintenant penser sérieusement à édifier une œuvre constructive. Je n’aurai peut-être que le temps d’en faire le plan. Mais qui sait ? […] C’est curieux comme la confiance me pénètre peu à peu. Je crois que je vais passer intact à travers l’épreuve. C’est encore peu visible. Mais l’intuition… »
Jeudi 10 mars : « Les procès politiques semblent ténébreux, sanguinaires, violents. Les magistrats n’y comprennent guère que des luttes épouvantables. Pour qu’ils puissent juger avec sérénité, on doit leur présenter les motifs puis leur démontrer la bonne foi, la sincérité, la loyauté qui animaient certains combattants du parti le plus décrié. Pour moi, il ne s’agit pas d’amnistie, mais de justice. L’amnistie suppose la culpabilité. »
Vendredi 18 mars : « J’ai été un peu secoué ce matin au réveil. On est venu chercher un de mes camarades […] dont la condamnation précédait la mienne de huit jours. Et […] je me demandai si… ce n’était pas aussi pour moi […] J’avoue que si on me graciait, cela me semblerait un de ces événements heureux extraordinaires dont j’ai perdu l’habitude dans ma vie depuis presque toujours. »
Dimanche 20 mars : « j’ai vu Leroy hier matin. Il est convoqué mardi […] Pourra-t-il me renseigner mieux mercredi après sa visite au Président. Je crois que les huit jours qui suivent seront difficiles à attendre»
Mardi 22 mars : « la vie n’a d’importance que sur un certain plan. Grâce ou exécution, c’est tout un si on reste sur le plan d’en bas. […] Quelle que soit la solution que les hommes prétendent ordonner […] nous sommes toujours, si nous le comprenons, dans la grâce la plus haute, qui ne saurait jamais être interrompue. »
Vendredi 25 mars : « J’ai vu Leroy. J’ai très bonne impression. Au point que cet après-midi, tout détendu, j’ai baguenaudé dans mon préau au soleil pendant trois heures. On ne marche pas très vite avec les chaînes, mais il faisait bon —et j’étais si calme. Il y a même longtemps que je n’avais pas éprouvé tant de paix. »
Lundi 28 mars, 1èrelettre : « Mon Dieu ! Quelle lettre nerveuse, angoissée. parce qu’il nous faut attendre quelques heures. Voilà où une compréhension plus haute que la terre fait du bien […] Je n’attends pas la grâce. J’ai la grâce. la réelle, celle que l’Amour donne à ceux qui en sont dignes. »
Je te répète […] tu es ma femme, ma compagne, la seule qui m’ait aidé et compris, et celle avec qui je serais resté toujours. […] Tu élèveras Frédéric selon les idées les plus hautes […] Aime cet enfant, conduis le, dirige le. Qu’il devienne un homme pur, intègre, fort. Qu’il soit habile dans un métier sûr. […] Refais ta vie s’il le faut. Tu ne dois rien négliger pour trouver le calme, l’aisance, la paix. Je suis toujours avec toi.
Publiez tout. […] tu expurgeras toutes les phrases qui peuvent être blessantes pour quelques gens de Fresnes […] Pour les pièces, elles sont toutes jouables.
Tu t’occuperas de ma mère le plus possible, pour qu’elle puisse aller jusqu’au bout de son expérience dignement et simplement. »