Je possède seulement les lettres que ma mère lui a écrit au cours des trois derniers mois entre sa condamnation (25 décembre 1948) et son exécution (29 mars 1949). Elles ont été restituées à ma mère qui, de son côté, avait conservé toutes celles que Jean lui avait écrites depuis janvier 1945.
Extrait de la lettre de Jean Mamy à ma mère en date du dimanche 20 mars 1949 : « J’ai relu toutes tes lettres depuis trois mois. Elles sont affirmatives. Que de peine tu prends pour me persuader que tout va bien. Je veux bien te croire »
- Vendredi 10 décembre 1948 : « je ne redoute pas la nuit de Noël. Je n’ai pas peur du tout. Je crois au Père Noël ! Et puis j’ai confiance en toi. »
- Mardi 14 décembre 1948 : « Plus cette affaire approche, plus elle me tourmente […] j’ai confiance. Et puis, Me Leroy me parait aussi très bien et très acharné à te tirer de là. »
- Lundi 20 décembre 1948 : « Tu as été très digne, très bien. J’en suis sûre, moi, que tu n’as rien fait de mal. Et j’attends avec confiance la nuit de Noël. »
- Jeudi 23 décembre 1948 : « Je ne sais pas quel sera le verdict ? Mais quel qu’il soit […] je ferai tout pour obtenir ta grâce. »
- Samedi 25 décembre 1948 : « Tu m’avais promis un beau Noël ! … ? Et sans doute, avais-tu raison […] C’est la première fois, depuis des années, que je reçois un baiser si tendre et que je sens, à nouveau, autour de mes épaules, tes deux bras me serrer contre toi. Oui, c’est un beau Noël ! »
- Mardi 28 décembre 1948 : « Nous organisons ton sauvetage. La mer était déchaînée. Nous n’avons pas pu éviter le naufrage. Mais les vents ont tourné. Nos canots sont solides, nos marins habiles et prudents. Et déjà on aperçoit la rive. »
- Lundi 3 janvier 1949 : « Sais-tu que tu n’es guère différent des autres ? Ni meilleur, ni pire : un homme avec des défauts et des qualités. Regarde-toi, Mon chéri : conviens que tu n’as rien d’un ange… »
- Dimanche 9 janvier 1949 : « Tu ne me parles pas de Frédéric ? As-tu oublié ce bout d’chou ? Veux-tu bien vite, m’envoyer des baisers pour lui. C’est un ange. »
- Jeudi 13 janvier 1949 : « Je suis affreusement grippée […] je n’ai plus de voix (ce qui me gène beaucoup pour crier après Frédéric). »
- Samedi 15 janvier 1949 : « Je voudrais être la première à t’annoncer que tu es gracié, puis que ta peine est réduite à 20 ans, puis à 10, puis que tu es en liberté conditionnelle, et puis que tu es tout à fait libre et que cette histoire est complètement oubliée »
- Lundi 17 janvier 1949 : « J’ai appris, cet après-midi, au Palais, le rejet de ton pourvoi. Ce n’est pas une surprise. Nous nous y attendions. On ne m’avait pas laissé espérer long délai. »
- Jeudi 20 janvier 1949 : « Ce soir, je vais vite me coucher. Je tombe de sommeil. Je vais tout de suite m’endormir. Je voudrais ne me réveiller que le jour où je te trouverai à côté de moi.»
- Dimanche 23 janvier 1949 : « pouvoir embarquer tous les deux (tous les trois)… (tous les quatre, car, entre les quelques heures qui sépareront la libération du départ, Catherine se sera peut-être déjà manifestée) »
- Mercredi 26 janvier 1949 : « Douterais-tu de ma puissance, par hasard ? Je t’ai toujours dit que je réservais mes gros atouts pour la fin. On y arrive. Je les jette sur le tapis. Et on gagne la partie. Aujourd’hui, par exemple, aujourd’hui même, c’est un as, un as des as, que j’abats sur le tapis. Un as, c’est très fort, n’est-ce pas ? »
- Jeudi 27 janvier 1949 : « Je ne crains qu’une chose, moi. C’est qu’un de ces jours —où tu trouveras encore « que la vie humaine ne t’offre pas de côtés riants, ne t’en a jamais beaucoup offert »— tu me reproches de ne pas t’avoir laissé fusiller. »
- Mardi 1er février 1949 : « .tu as tort de penser que certains cherchent à te « noircir » davantage (tu t’en es suffisamment chargé ; on ne pourrait guère faire mieux dans ce sens).»
- Mercredi 2 février 1949 : « Je suis sûre que le printemps nous sera favorable. »
- Dimanche 6 février 1949 : « Je voudrais que Frédéric, quand il sera grand, n’aille jamais voir un film (ou pièce) politique ou d’espionnage. »
- Lundi 7 février 1949 : « Je préfère te défendre moi-même. C’est que je m’y entends, sais-tu à te défendre. (Pour un peu, j’arriverais à me persuader moi-même, que tout ce que tu fais est bien fait,… tant je veux en persuader les autres). »
- Mardi 8 février 1949 : « ce soir sur le journal que « deux espions, déjà condamnés à mort en France, étaient jugés en Suisse… etc… etc… » ». Ce n’est pas que je craigne le verdict des juges helvétiques. Je sais bien qu’on ne te fusillera pas deux fois. »
- Vendredi 11 février 1949 : « J’aurais dû attendre de voir Me Leroy avant de t’alarmer avec l’histoire suisse. Elle n’a pas du tout l’air de l’inquiéter. »
- Lundi 14 février 1949 : « Je ne sais pas encore ce que donnera le nouveau Ministre. A première vue, ça me parait de bonne augure. »
- Vendredi 18 février 1949 : « Tout ce que tu m’as raconté concernant Catherine m’a été très agréable. »
- Lundi 21 février 1949 : « Certains journaux de ce matin parlaient d’une révolte chez vous. Mais je crois que ça n’est pas tout à fait vrai. »
- Vendredi 25 février 1949 : « J’ai su que tu étais actuellement chez le Garde des Sceaux. J’en ai aussitôt informé Leroy, afin qu’il fasse les démarches nécessaires. »
- Mardi 1er mars 1949 : « Frédéric a passé la journée […] sur les Grands Boulevards, à la recherche de quelques déguisés. Et maintenant il dort, en rêvant sans doute à quelque colombine ou à quelque marquise.. »
- Samedi 5 mars 1949 : « J’ai reçu, ce matin, ta lettre du 3. […] —sur la dernière ligne— tu « m’embrasses comme il n’est pas possible ». J’aimerais, moi, qu’il soit possible que tu m’embrasses. »
- Lundi 7 mars 1949 : « On me rapporte du Palais une nouvelle qui […] me parait une bonne nouvelle : un condamné à mort de juillet 48 (responsable de 3 morts, dit-on) vient d’être gracié »
- Mercredi 9 mars 1949 : « Je n’aime pas toutes vos histoires guerrières où —comme quand Frédéric joue à la bataille avec ses camarades— vous voulez tous avoir raison. »
- Vendredi 11 mars 1949 : « Je suis de plus en plus sûre que la décision sera favorable. Et le jour n’est peut-être pas si éloigné où tu pourras, toi-même, mettre en scène mon scénario Second Empire »
- Mardi 15 mars 1949 : « Rien de nouveau. […] Je n’écris pas, mais je pense à toi. »
- Vendredi 18 mars 1949 : « Je lis dans les journaux du soir l’exécution de ce matin, et —bien que j’aie, en ce qui te concerne, les meilleures nouvelles— j’en suis toute émue. »
- Samedi 19 mars 1949 : « J’ai vu Leroy à deux heures, à son retour de Fresnes. Il m’a fait part de la convocation qu’il a reçue pour mardi. »
- Dimanche 20 mars 1949 : « Autant je sentais, du 1er au dernier jour, la condamnation. Autant, je suis sûre de la grâce. »
- Dimanche 20 mars 1949 (lettre de Frédéric) : « Papa chéri, Je t’envoie un gros baiser et puis quand ce s’ra tes étrennes on t’enverra une belle rose avec une petite sœur […] Je t’attends bientôt pour jouer avec toi, »
- Lundi 21 mars 1949 (17 heures) : « La Radio de midi et les journaux de ce soir annoncent : « Le Président devra garder la chambre pendant quelques jours, à la suite d’un refroidissement. Ses audiences et ses visites sont remises à une date ultérieure ». Je t’en avise aussitôt, avant même d’avoir eu par Me Leroy la confirmation qu’il n’irait pas, demain à l’Élysée. Je m’en réjouis. »
- Lundi 21 mars 1949 (soir) : « Me Leroy, que j’ai eu tout à l’heure au téléphone, m’a dit qu’il serait convoqué pour jeudi […] Il ne faut donc pas compter qu’une décision soit prise avant la semaine prochaine. Tant-pis ! Nous attendrons le dimanche suivant pour crier victoire. »
- Mardi 22 mars 1949 : «À tout prendre, je préfère encore que tu fasses de la politique. Mais à l’avenir, j’en ferai avec toi. Pour veiller à tes actes et freiner tes excès. . »
- Mercredi 23 mars 1949 : « Tu ne m’en voudras pas de ne pas t’écrire ce soir. J’ai eu une journée abrutissante de travail. Il est minuit. Je n’ai pas cessé de taper à la machine de toute la soirée. »
- Jeudi 24 mars 1949 : « il me semble que la réception d’aujourd’hui permet beaucoup d’espoir. Géranton me disait ce soir que nombreux avocats de ses amis avaient tout de suite deviné, d’après l’accueil du Président, que leur client ne s’en tirerait pas. L’impression que Leroy a retirée de la visite, me parait toute différente. Et je suis sûre qu’il ne me raconte pas d’histoires. Si tu es un grand garçon à qui on peut tout dire, moi, je suis une grande fille qui peut, aussi, tout entendre. »
- Vendredi 25 mars 1949 : « Je crois qu’il ne faut pas attendre de décision avant mardi prochain. »
- Dimanche 27 mars 1949 : « Et je trouve bien cruel de nous laisser si longtemps dans cette affreuse incertitude. Car sais-tu bien que je serais inconsolable si je devais te perdre ? Te rends-tu compte de la place que, depuis quinze ans, tu as pris dans mes pensées ? »